Je viens d’achever mon premier trimestre en doctorat, et j’envisage de changer de laboratoire. Je n’ai aucun moyen de savoir si tout ce que je vis est inhérent au doctorat ou résulte des dysfonctionnements de mon équipe de recherche. J'aimerais avoir votre avis. D’avance, je remercie les quelques personnes qui lieront jusqu’au bout mon message.
Pour vous donner le contexte, il y a Roger, mon directeur de thèse, Antoine l’unique post-doc de l’équipe, Matthieu, et Joshua, deux autres doctorants en 1ere année, et Alexis, un doctorant en 3e année.. Depuis le début de mon doctorat, j’ai été 90% en télétravail et le reste du temps seul dans un bureau. Autant dire que j’ai extrêmement peu d’interactions avec ces personnes. N'ayant personne de mon entourage dans ce milieu, je n’ai jamais l'occasion de comparer mon expérience avec celles d’autres personnes. Si j’écris ce post c’est surtout pour avoir un avis extérieur sur mon expérience.
Le manque de pertinence de mon directeur de thèse
Allons y chronologiquement. Premières interrogations : avant la thèse. J'imaginait qu'avant de s'engager dans une telle aventure, j'aurais une réunion avec Roger (mon directeur de thèse) pour parler de mes attentes, des siennes, que l'on discute ensemble du sujet, qu'il m'introduise le labo, l'équipe, qu'il m'explique des choses, comme les bonnes habitudes à prendre, les pièges du début de thèse, etc. Mais non. J'ai bien essayé de provoquer un RDV, mais il a été très court et peu de chose ont été dites.
Je commence donc ma thèse en novembre 2020 (il y a 4 mois). Depuis cette date, nos échanges restent très rares, sans rentrer dans les détails, ma thèse porte sur le machine learning appliqué à la robotique. Comme tout doctorant, je fais un travail de lecture d'articles scientifiques et j'ai suivi des cours sur mon sujet. Détail qui a son importance : Roger est en fin de carrière, et s'intéresse depuis très récemment à la robotique. Lors de nos échanges, je ne le trouve pas du tout pertinent. Je sens qu'il a une compréhension limitée de ce que je fais, autant sur l'aspect machine learning que sur l'aspect robotique. Il "s'allume" quand je lui parle de chose très terre-à-terre, du genre "il y a 70% de réussite sur telle expérience". Lorsque je tente de discuter de questions plus scientifiques, comme la pertinence de mon approche, il n'a jamais rien d'intéressant à dire. Dernier exemple en date, je lui ai dit que le travail que j'avais fait en stage (oui, j'ai fait un stage avec lui avant), avait été téléchargé 6 000 fois. Il était emballé comme jamais, et s'est empressé de le twitter, comme s'il préférait dire qu'il faisait de la recherche qu'à en faire vraiment.
Le syndrome de l’imposteur
J'ai lu que souvent, les doctorants avaient le "syndrome de l'imposteur". Pas moi. En fait c’est l’inverse. Je sais ce dont je suis capable, et j'ai l'impression que mes qualités ne sont pas appréciées à leur juste valeur. Je le ressens souvent, mais l'exemple le plus parlant est le suivant. Un jour, mon directeur de thèse voulait que j'organise un projet avec des étudiants d'école d'ingénieur. Sans rentrer dans les détails du sujet, il m'a fourni une liste d'attente. Cette liste était démentielle. J'ai été en école d'ingénieur, et je sais ce qui est faisable en un temps impartie. Il aurait fallu 12 mois à temps plein pour faire tout ce qu'il souhaitait. Or les étudiants ne disposaient que de 50 heures (incluant l'organisation des rendus intermédiaire, du rapport final, etc.). Ca n'a pas loupé, les étudiants (malgré leur grande motivation) n'ont fait qu'une infime fraction du travail qui était demandé.
Pourquoi je vous raconte cela ? Ça montre qu'il ne mesure pas vraiment le temps et l'investissement que ses rêves impliquent. Je crois que ça fait longtemps qu'il n'a pas mis les mains dans du code. Je travaille énormément sur certaines tâches, en sachant qu'il les considère comme des formalités qui pourraient être expédiées en 2 minutes.
Quand vais-je commencer à travailler sur mon sujet ?
J'ai dit dans le paragraphe 1 que mon sujet portait sur du machine learning. Je n'en ai pas fait depuis que j'ai commencé, il y a quatre mois. Ce sujet me passionne portant. Pourquoi ? Car nous n'avons pas de système robotique fonctionnel. La quantité de tâches à faire pour avoir un système robotique fonctionnel est pharaonique. Je passe mon temps à demander des devis pour acheter du matériel, d'outils, discuter avec des entreprises au téléphone sur des clauses de contrats dont j'ignore le sens, essayer de comprendre le code des marchés publiques pour ne passer pour un idiot quand je leur parle… Je m'occupe également de l'installation du système robotique, réseau informatique, organisation de la salle, normes de sécurité liées au bruit, liées aux distances de sécurités etc... Finalement, je fais tout sauf travailler sur mon sujet de thèse. Et plus j'avance dans ces tâches annexes, plus je sens que le moment où je travaillerais enfin dessus s'éloigne. Je ne vous parle même pas de ma première publication qui me semble encore à des années-lumière.
Conclusion et questions
L’élément déclencheur de mon post est survenu hier. Antoine (le post-doc), m’a confié de Mathhieu (autre doctorant) souhaite arrêter, déçu de ses deux premiers mois de doctorat (pour les mêmes raison que moi globalement). De plus, je sais qu’Antoine cherche activement un nouveau poste, car il “n’avait pas signé pour ça”. Il est arrivé depuis un an et n’a pas publié une seule fois. Je risque donc dans très peu de temps de me retrouver seul avec Joshua, pour gérer les nombreux projets sur lesquels Roger s’est engagé. C’est déjà intenable, ça risque d’être encore pire.
Voici mes questions :
Est-ce normal de faire tant de tâches annexes ? Est-ce que c’est ça les fameuses difficultés qu’impliquent le doctorat ? Ou est-ce différent ailleurs ?
Est-ce faisable d’arrêter une thèse pour en commencer une autre ? Est-ce qu’une autre équipe voudra de moi ? Est-ce qu’une équipe se risquera à embaucher un doctorant qui a déjà abandonné une fois ?
D'après les menues recherches que je viens de faire, ça semble compliqué de changer d'équipe/labo... J'y connais rien sur les obligations contractuelles d'un doctorat, mais je pense qu'il y a des pistes à explorer : - trouver des entreprises prêtes à s'impliquer dans ta thèse. A partir du moment où une entreprise injecte de l'argent ou des moyens dans une thèse elle attend des résultats, ce qui devrait te permettre d'esquiver un peu plus facilement les projets de ton directeur de thèse.
- ton directeur de thèse a-t-il des rivaux ? J'ai eu la surprise quand j'étais en école d'ingé de constater à quel point le petit monde de la recherche peut se montrer puéril (cf. ton directeur de thèse qui fait sa rockstar sur twitter au lieu de bosser). Un rival de ton directeur serait probablement ravi de lui piquer un doctorant (et les financements qui vont avec). Attention, ça sera peut-être pas mieux dans la nouvelle équipe...
"On ne remplace pas des plombs sautés avant de savoir pourquoi ils ont sauté." 2001 l'odyssée de l'espace, Arthur C. Clarke
avant toute chose, je précise que je suis moi-même titulaire d'un doctorat en mathématiques appliquées, ce qui est une discipline différente de la tienne je pense, notamment en ce qui concerne le type des publications. Je vais essayer de partager mon point de vue par thématique.
En ce qui concerne le rôle du directeur de thèse, je dirais qu'il y a deux cas : soit tu as un directeur et un encadrant, soit il est les deux. Dans le premier cas (qui était le mien), je n'ai eu que très très peu de contacts avec lui, à part pour les démarches administratives et deux/trois points techniques; l'essentiel de mes interactions était avec mon encadrant qui m'a filé tous les tuyaux dont tu parles. Dans le second cas, il est normalement censé prendre du temps pour s'occuper de toi, surtout au début, afin de t'aider à gagner en autonomie. Logiquement, l'autonomie est acquise à la fin de la première année. Le fait qu'il ait une compréhension limitée de ce que tu fais n'est pas une aberration en soit et la richesse se trouve normalement dans la rencontre des deux mondes; mais garde à l'esprit qu'il devient de plus en plus difficile de se renouveler quand on avance en âge (carrière bien établie sur un domaine, habitudes acquises pendant 40 ans, etc). Ses réactions par rapport aux succès sont parfaitement compréhensibles puisqu'en tant que chef, il est aussi chargé de récupérer des financements pour faire tourner ses équipes (et c'est de plus en plus vrai, le reste du débat est politique) et ça passe aussi par se donner de la visibilité pour obtenir la confiance des financeurs. Si tu te sens à l'étroit dans tes interactions, tu vas probablement devoir aller discuter avec les personnes pertinentes par toi-même (ça fait aussi partie du métier de chercheur, même si cet apprentissage est plus ou moins brutal), par exemple les auteurs des articles que tu as pu lire, etc. J'ai même vu des personnes cesser toute collaboration avec leur directeur pour aller pêcher l'info ailleurs (mais c'est un cas extrême). Il est peu probable que ton directeur change de comportement. Par contre, j'insiste sur le fait que ce n'est pas une situation normale.
Par rapport à ton projet avec l'école d'ingé, on en revient à mon paragraphe précédent. Ca doit faire longtemps que son labo tourne sur ses post-/doctorants et ses acquis. Est-ce que tu lui as dis clairement que ce n'était pas faisable ? Il ne faut pas hésiter à dire ce que tu penses, surtout si ce n'est pas faisable. S'il n'est pas capable d'entendre les critiques, alors il y a un problème supplémentaire.
Quand tu parles de ton sujet, tu insistes sur le temps que tu passes à ne pas faire de science. Ca ressemble clairement au fonctionnement d'un labo en sous-effectif dans une institution qui n'a personne en charge des achats. Si je considère normal d'apprendre le fonctionnement de ce genre de choses, tu sembles y passer trop de temps et il aurait fallu que vous soyez plusieurs pour cela.
Je ne m'exprimerai pas sur les publications puisque les "règles" diffèrent entre les disciplines.
Pour répondre à tes questions de fin :
il est normal d'effectuer des tâches annexes car cela fait partie intégrante du métier de chercheur mais ça ne doit pas correspondre à l'essentiel de ton temps.
ça fait partie des difficultés du doctorat, mais j'aurais placé loin devant les aspects théoriques, techniques, le stress de l'échéance.
les situations dépendent non seulement des disciplines, mais aussi des laboratoires et des personnes (et de leurs affinités); pas de généralité à ce niveau. Globalement, ça se passe bien.
Ta situation ne donne pas l'impression qu'elle peut s'améliorer. Le fait que le ressenti soit partagé entre plusieurs personnes semble montrer que le problème vient bien du laboratoire. Sur le principe, arrêter une thèse pour en recommencer une autre ailleurs est tout à fait faisable mais ça peut aussi envoyer un mauvais message aux personnes chez qui tu candidates (d'autant plus que tu ne pourras pas compter sur le soutient de ton encadrant actuel, qui était aussi celui de ton stage si j'ai bien compris, et qui ne voudra sans doute pas te fournir de lettre de recommandation). Cela dit, une autre équipe pourrait tout à fait être compréhensive et vouloir de toi, mais si tu comptes démissionner, assure-toi d'avoir déjà été pris ailleurs ...
Bon courage
Avez-vous entendu parler de Julia ? Laissez-vous tenter ...
thecraouch et Nozio, merci infiniment pour vos réponses. Elles m'aident beaucoup dans ma reflexion. C'est extrêmement précieux pour moi ces regards extérieurs. J'espère que ça aidera également d'autres personnes. Je vais essayer une ultime confrontation avec mon directeur de thèse (on sait jamais). Et si le cap ne change pas, il faudra que j'identifie d'autres équipes (en m'assurant d'être pris avant ma demission).
Doctorant depuis 4 mois. Dois-je changer de labo ?
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