Nous l’avons vu précédemment : le spectre de la RSE couvre un champ d’actions très variées. Dans ce chapitre, nous aborderons quelques concepts et outils utiles pour analyser les choix de RSE des entreprises. Une compétence utile au consommateur, aussi bien qu’à l’étudiant en recherche de stage ou de premier emploi.
Les degrés de la RSE
On constate que les démarches de RSE se différencient par des degrés inégaux d’implication de l’ensemble de l’entreprise et de ses processus de production. L’étape ultime consiste ici à intégrer la RSE à son business model. Il s’agit de son « code source », c’est-à-dire du schéma grâce auquel la société crée de la valeur et la partage entre ses différentes parties prenantes.
Une façon d’intégrer la RSE plus profondément peut consister à s’inscrire dans le champ de l’économie sociale et solidaire (ESS). La loi de 2014 définit ce secteur et ses acteurs comme :
« un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale ».
Cette utilité sociale désigne globalement tous les biens et services destinés à concourir au développement durable, aux solidarités internationales et locales, à l’éducation et à la lutte contre l’exclusion. L’ESS regroupe des organisations de statuts variés : entreprises, comme ONG ou encore fondations. Toutes ont pour point commun d’adopter une gouvernance favorisant la concertation et la participation des collaborateurs.
Le statut de la coopérative est emblématique de cette démarche. À la différence des sociétés à responsabilité limitée ou anonymes, où le pouvoir des actionnaires dépend pour partie de leur volume d’actions, les coopératives reposent sur le principe de gouvernance « 1 personne égale une voix », quel que soit le montant des parts détenues. Ce qui signifie que la prise de décision par les sociétaires de ces structures repose nécessairement sur le dialogue et des processus démocratiques. Certains cabinets d’étude ou sociétés de développement informatique adoptent la forme de la coopérative.
Dans le secteur du numérique, toutes les initiatives regroupées sous l’expression « Tech for Good » incarnent cet idéal de sociétés proposant des produits numériques socialement et écologiquement utiles, tout en adoptant un mode de fonctionnement démocratique, favorisant l’implication et l’épanouissement des collaborateurs. Ici, l’innovation est conçue comme un moyen pour parvenir au progrès social, écologique et démocratique, et non une fin en soi, source de prouesses techniques parfois aveugles.
Les outils de la RSE
Lorsqu’elle souhaite mettre en place une démarche de RSE, une entreprise peut mobiliser différents outils et concepts. Découvrons ici les plus importants :
nommer un salarié en charge de la RSE, via une direction dédiée ou bien couplée à celle du développement durable, par exemple ;
les collaborateurs chargés de la RSE mettent en place une série d’indicateurs qui renseignent l’entreprise sur ses impacts sociaux, économiques et environnementaux. Retenons ici l’exemple de l’analyse du cycle de vie (ACV), que la plateforme Techniques de l’ingénieur définit comme l’évaluation des « impacts environnementaux potentiels d’un système, un produit voire un procédé ou un service, assurant une (ou plusieurs) fonction(s), tout le long de son cycle de vie. Cette approche se déroule en quatre étapes : objectifs, bilan matière énergie, analyse des impacts et interprétation ».
L’ACV permet ainsi de mesurer, pour la production d’un smartphone par exemple, son empreinte environnementale « du berceau à la tombe », c’est-à-dire de l’extraction des minerais rares jusqu’aux coûts de recyclage et de valorisation sous forme de déchet. Un des indicateurs les plus célèbres de l’ACV est le bilan carbone qui mesure les émissions de CO2 d’un produit et/ou d’une entreprise ;L’ACV s’inscrit dans le cadre plus large d’une démarche d’écoconception. Celle-ci consiste à intégrer des standards environnementaux élevés dès la conception du produit, plutôt que de pallier d’éventuels impacts négatifs en aval, par le biais de mesures de compensation par exemple. Le proverbe « il vaut mieux prévenir que guérir » résumerait bien l’intention d’une démarche d’écoconception.
Avec « quelque 9 milliards d’appareils en circulation dans le monde, dont 2 milliards de smartphones, 45 milliards de serveurs et des milliards de mails échangés en une heure », le secteur du numérique est clairement concerné par les enjeux d’écoconception, relève l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cela peut passer par des langages de programmation plus sobres et des programmes allégés afin de limiter l’obsolescence des terminaux, favoriser les centres d’hébergement locaux ou encore le développement d’applications cloud faibles en consommation d’énergie ;le rapport RSE, ou reporting extra-financier, permet à l’entreprise de réunir ses engagements et indicateurs et de les rendre publics. Ce rapport doit être certifié par un tiers (un cabinet d’audit, par exemple) pour les entreprises de plus de 500 salariés et de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. On trouve dans ce rapport le panorama des parties prenantes de l’entreprise et des actions de l’entreprise à leur endroit. Lorsque les rapports financiers et extra-financiers sont fusionnés en un seul et même document, et donc que leurs objectifs et moyens sont associés, ce rapport prend le nom derapport intégré;
les codes éthiques ou chartes de bonne conduite accompagnent souvent le rapport RSE. Ce document exprime les engagements de l’entreprise autour de grands principes. Au départ, les codes de conduite visaient à lutter contre le clientélisme et la corruption. Ces documents servent à la fois à construire une culture d’entreprise, via la formation de nouveaux collaborateurs par exemple, qu’à exprimer les engagements de l’entreprise auprès de ses parties prenantes. Pour exemple, vous pouvez consulter les règles de conduite dans les affaires d’IBM.
Élaborez une matrice de matérialité pour préparer une démarche de RSE
Une démarche de RSE répond aux mêmes objectifs qu’une démarche de gestion : identifier des objectifs et les hiérarchiser afin de produire les moyens de les atteindre. Ainsi, l’élaboration d’un programme de RSE doit parvenir à hiérarchiser ses objectifs.
Pour ce faire, nous vous proposons de découvrir un outil, la matrice de matérialité. Cette matrice consiste très simplement à croiser, en abscisse, les priorités et enjeux de l’entreprise à ceux de ses parties prenantes, en ordonnée. Cet outil doit lui permettre d’identifier les points de convergence, ou bien de divergence à résoudre, entre elle-même et ses partenaires.
Pour approfondir cette réflexion sur les enjeux de RSE, une entreprise peut choisir de recourir à l’élaboration de matrices éthiques, un outil proche de la matrice de matérialité. Celles-ci visent à identifier d’éventuels risques et conflits et/ou divergences de valeurs entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Cet outil a été développé en 1996 par le biologiste Ben Mepham pour analyser les enjeux éthiques liés aux projets de biotechnologie. Cet article de la philosophe Céline Kermisch propose un exemple de matrice éthique appliquée au cas de l’enfouissement de déchets nucléaires. Concevoir une matrice éthique, par exemple dans le cadre de la conception d’un algorithme et de son entraînement, peut grandement aider les entreprises du numérique à identifier tous les risques de leurs projets et nouer un dialogue des plus féconds avec leurs parties prenantes.
Formalisez un diagramme radar pour évaluer une démarche RSE
Pour identifier l’ « allure » de la RSE d’une entreprise ciblée, nous vous proposons de recourir à la formalisation d’un diagramme radar. Son objectif est de vous permettre de produire une représentation graphique des orientations et de l’intensité de la démarche RSE d’une entreprise donnée.
Pour ce faire, nous avons retenu les sept piliers de la RSE selon la norme ISO 26000 présentée dans le chapitre 1. Pour formaliser ce diagramme radar, vous devez d’abord effectuer des recherches dans la documentation institutionnelle de l’entreprise de votre choix, ainsi que dans la presse afin de croiser les informations. Cela vous permettra de déterminer les priorités de l’entreprise parmi les sept orientations proposées par la norme ISO 26000 et de mesurer l’intensité, voire la crédibilité des engagements et des réalisations concrètes.
Si vous souhaitez creuser plus avant cette analyse, vous pouvez mesurer le score de RSE de l’entreprise de votre choix en remplissant l’outil en ligne Diag 26000. Ce questionnaire a été développé par Centrale Éthique, un projet de l’association des alumnis de l’École centrale.
En résumé de la partie 3
Dans cette troisième partie, nous avons vu que l’origine et les principes de la RSE se confrontent à des enjeux de taille dans l’industrie numérique, tant sur l’impact environnemental du numérique que sur les évolutions des conditions de travail, notamment liées au phénomène d’ubérisation. La structuration de la RSE, de la prise de conscience jusqu’à son encadrement légal (national et européen), redéfinit progressivement les responsabilités des entreprises en interne et au sein de la société. Grâce aux outils proposés dans ce cours, vous pourrez pratiquer une évaluation et une analyse critique des démarches RSE des entreprises du numérique. Cela constitue une ressource au titre de votre engagement au sein d’une entreprise, mais aussi pour votre réflexion personnelle. Dans cette perspective, la quatrième et dernière partie mobilisera votre sens critique en tant que professionnel et citoyen.