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J'ai tout compris !

Mis à jour le 02/03/2020

Réalisez une cartographie sociotechnique

Qu’est-ce qu’un réseau sociotechnique ?

Pour illustrer cette notion de réseau sociotechnique, empruntons à Michel Callon l’exemple de la voiture (source : « Sociologie de l’acteur réseau », repris dans Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Presses des Mines, 2006, p. 270-271). L’auteur explique que lorsqu’un conducteur tourne la clef de sa voiture, il met en branle tout un réseau sociotechnique qui relie des « entités hétérogènes » qui comportent des éléments humains et non humains ; en effet, derrière l’action simple de démarrer sa voiture se cache une « action collective » impliquant des compagnies de pétrole, des stations-services, des routes, les machines et les ouvriers qui ont assemblé le véhicule, les ingénieurs qui ont travaillé sur sa conception, des éléments de législation comme le code de la route, les examens, les procédures et les personnes qui habilitent les gens à conduire, les dispositifs qui permettent de réguler la circulation (feux rouges, dos d’âne, etc.).

En somme, affirme l’auteur :

« Nous pourrions considérer chacun des éléments du réseau sociotechnique pour montrer que, humain ou non humain, il contribue à sa manière à faire circuler le véhicule […] Nous pourrions également dire que cette activité collective a été mise en boîte noire sous la forme d’un artefact – ici une automobile. Lorsque l’automobile se met en mouvement, c’est tout le réseau qui se met en mouvement ».

On pourrait facilement traduire cette idée en listant la totalité de ce qui est nécessaire pour naviguer sur Internet, l’architecture normative du réseau (comme nous l’avons vu dans le chapitre 2), les protocoles, les fournisseurs d’accès, les fournisseurs de contenu, les plateformes, l’ordinateur, les navigateurs, les différentes législations qui empêcheront que tel ou tel contenu soit référencé, etc.

Là aussi toute une chaîne se déploie lorsque je fais, par exemple, une simple requête sur Google. Déplier ce réseau permet de se rendre compte de l’étendue de ce qui est impliqué dans un acte simple et permet de renforcer la réflexivité sur les problèmes afférents ; cela permet également de se rendre compte de ce que font et font faire les artefacts algorithmiques, les protocoles, etc., qui sont véritablement des « actants » (source : D. Cardon, À quoi rêvent les algorithmes, Paris, Seuil, 2015).

Le numérique comporte également un ensemble de dispositifs que l’on pourrait désigner comme « prescripteurs », le système de recommandation de Netflix en est un exemple (source : disponible ici). Derrière les faits scientifiques et techniques, il y a des logiques d’acteurs qui essaient de fédérer et de structurer un réseau ; c’est du moins ce que nous explique M. Akrich au sujet d’Eddington :

« Pour atteindre son but, construire un système électrique capable de supplanter les réseaux gaziers, il se dote d’une étonnante palette de moyens : il commence par multiplier les déclarations fracassantes, ce qui lui permet de mettre en forme l’opinion publique en même temps qu’il la teste, il s’entoure des scientifiques les plus brillants de l’époque dans tous les domaines susceptibles d’avoir un rapport avec son problème, s’associe avec un expert de la question financière capable de négocier avec les banques, déploie des trésors de mise en scène, lors d’une fastueuse réception dans son laboratoire, pour séduire les maires des grandes villes, visées par son projet, et va même jusqu’à prévoir la reconversion des employés du gaz. Mais surtout, il trouve le moyen d’intégrer ces différentes « expériences » dans le processus même de conception du système technique. […] Nous nous trouvons ici devant un objet technique qui incorpore dans sa définition même une certaine description du monde social, naturel, économique dans lequel il est appelé à fonctionner » (source : Madelein Akrich, « La construction d’un système socio-technique. Esquisse pour une anthropologie des techniques », dans Sociologie de la traduction, op. cit., p. 111).

Quoi qu’il en soit de cette théorie et des possibles critiques que l’on peut lui adresser (source : Louis Quéré, « les boîtes noires de Bruno Latour ou le lien social dans la machine », Réseaux, n°36, 1989, p. 95-117), l’idée est que la « mise en boîte noire » caractéristique par exemple de la voiture telle qu’on la "connaît", efface et masque les controverses qui ont présidé à sa stabilisation. En quelque sorte, les objets techniques tels que nous les connaissons dissimulent qu’ils ont été consolidés au terme de controverses et finissent par apparaître comme naturels. D’où l’idée d’essayer de comprendre comment la réalité et la nature de quelque chose, par exemple le principe de la neutralité d’Internet comme nous l’avons vu, se négocie et se constitue au cours d’une controverse, cette dernière étant définie comme :

« une configuration conflictuelle, où différents acteurs s’opposent publiquement, à propos de différents faits (scientifiques, techniques, économiques, politiques) qui sont susceptibles d’avoir des incidences jugées importantes par certains acteurs sur la vie humaine et sociale » (cf. C. Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses » dans Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2007/1, p. 191-212).

Cette approche a donné naissance à l’idée d’une cartographie des controverses technoscientifiques à travers un module créé d’abord par Bruno Latour à l’École des mines de Paris, module qui est désormais proposé et développé à Sciences Po Paris et dans de nombreuses universités (cf. article ici).

Dans la mesure où les sciences et les techniques ne cessent de pénétrer notre quotidien à une vitesse soutenue, les incertitudes générées par ces avancées prolifèrent et peuvent poser des problèmes publics, surtout lorsque les experts sont en désaccord les uns avec les autres.

C’est le cas par exemple en ce moment des débats sur l’intelligence artificielle et, comme nous l’avons vu dans le dernier chapitre, des problèmes liés à l’explicabilité des algorithmes. Il faut donc apprendre à naviguer dans ces controverses en essayant d’en dresser la cartographie. Le dispositif a donné lieu à une méthodologie détaillée de laquelle nous tirerons les indications suivantes : il s’agit de savoir quels sont les acteurs impliqués, quelles sont leurs positions, quelles formes de savoir et arguments ils mobilisent, quelles sont leurs relations, leurs conflits, dans quelles arènes ils s'expriment, et de suivre l’ordre chronologique de la controverse et les différents types d’association entre les acteurs qui sont mis en jeu.

À vous de jouer : créez une cartographie sur le véhicule autonome et explorez les controverses

En termes d’application de l’intelligence artificielle, et comme nous avons précédemment pris l’exemple du réseau sociotechnique de la voiture, on a pu voir la naissance d’une controverse sur les véhicules autonomes, controverse qui a aussi pu toucher la question de « l’éthique » de ces dispositifs techniques.

Il peut donc être intéressant de voir comment l’ancien réseau sociotechnique de l’automobile est bouleversé par la révolution actuelle en intelligence artificielle. La cartographie permet de se mettre à la place des différentes parties prenantes et par conséquent d’affiner sa compréhension de la complexité des enjeux, ainsi que des problèmes éthiques afférents. Elle permet de se décentrer en adoptant des points de vue différents.

Pour se rendre compte de manière préliminaire de l’ensemble des problèmes que le véhicule autonome va devoir affronter pour s’imposer, cliquez ici. Il vous faudra faire attention au fait que l’autonomie de ces véhicules est évolutive, comme vous pourrez le constater en cliquant ici. Évidemment, en règle générale la cartographie des controverses requiert la mobilisation d’outils numériques et des enquêtes de terrain, ce qui n’est guère possible dans le cadre de ce module.

Nous vous proposons donc d’essayer de cartographier cette controverse en suivant les liens hypertextes, puis en faisant vous-même des recherches et en essayant de considérer les arguments et les stratégies développés par les différents acteurs ci-dessous :

  1. Pour les constructeurs, leur nécessaire adaptation et leurs alliances :  article Le Monde sur une alliance des GAFAarticle Paris Match, ou encore article Les Numériques.

  2. Pour les automobilistes, article Le Monde sur l'acceptabilité sociale et DéplacementsPros, ou encore article Le Monde sur le temps gagné.

  3. Pour les GAFAM : article Le Monde sur les accords entre GAFA et constructeursarticle Le Monde sur la course entre les GAFA.

  4. Pour le problème tel qu’il est vu par les assureurs, article Les Échos.

  5. Pour l’État : rapport sur le développement des véhicules autonomes et rapport sur l'acceptabilité des véhicules autonomes.

  6. Pour les municipalités : article National Geographicarticle Mais où va le web, ou encore article La Tribune.

  7. Pour les associations d’automobilistes : article Village de la Justice.

  8. Pour les services de livraison, article Usine Digitale sur Nvidia et article Next Impact.

  9. Pour le code de la route et la législation : article Contrepoints (attention, il y a deux parties à cet article).

  10. Pour la voiture et son « point de vue » : article GNT et article Numérama.

  11. Pour les algorithmes : article Data Analytics Post ou encore article Interstices pour l’un de leurs porte-paroles.

  12. Pour les infrastructures routières : article Usine Digitale sur les infrastructures et article Usine Digitale sur des exemples de transformation.

  13. Pour le point de vue de l’environnement, article Novethic et article Reporterre.

Vous pouvez chercher ou imaginer d’autres acteurs…

Enfin, pour les consultations citoyennes autour du véhicule autonome, vous pouvez lire l'article de la ville de La Rochelle ou encore l'article Le Monde sur les débats citoyens.

En résumé de la partie 2

Dans cette partie, nous avons d'abord questionné les notions de société de l'information et de société numérique, et montré l'importance de la réflexivité éthique à l'ère de l'hyperpuissance de l'informatique. Nous avons ensuite abordé les rapports complexes du numérique et de la démocratie, que ce soit sous la forme d'une interrogation sur les potentiels démocratiques du web ou à travers les problèmes posés par la montée en puissance des GAFAM. Cette question politique a été illustrée par l'analyse des polémiques entourant la neutralité d'Internet. Dans un troisième temps, nous avons analysé les problématiques éthiques liées aux algorithmes et aux données et démontré l'importance des notions d'explicabilité et d'auditabilité des systèmes. Pour finir, nous avons mis en place un outil d'analyse des dispositifs techniques sous la forme d'une cartographie sociotechnique avec l'exemple du véhicule autonome.

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