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J'ai tout compris !

Mis à jour le 02/03/2020

Analysez le modèle Facebook

En 1994, le public français a pour la première fois accès au world wide web ; en 2008, 62 % des ménages français composés d’au moins une personne de 16 à 74 ans ont accès à Internet, puis 89 % des mêmes ménages en 2018 (source : disponible ici). En l’espace d’une vingtaine d’années, Internet s’est non seulement démocratisé, mais s’est en outre imposé dans la vie et les pratiques d’une écrasante majorité de Français.

Or, l’invention, la diffusion et l’exploitation commerciale de cette technique nouvelle ont entraîné une somme très importante d’innovations, dont l’impact sur nos pratiques a été considérable : des sites de vente par correspondance, qui ont soumis de nombreux commerces traditionnels à une concurrence féroce, aux plateformes de streaming vidéo et musical, qui ont profondément modifié nos habitudes de consommation en matière de produits culturels, en passant par la généralisation de la pratique du forum, qui permet aux profanes de disputer leur compétence aux spécialistes (cf. pour une étude quantitative ici), la liste des mutations sociales qu’Internet a initiées, accélérées ou exacerbées serait interminable.

La présente partie se limitera à l’étude de l’une des offres de service qui se sont constituées à l’occasion de cette démocratisation d’Internet, à savoir le réseau social ; et plus particulièrement, au réseau social le plus populaire et le plus utilisé dans les pays occidentaux dits développés, à savoir Facebook.

En raison de son extrême popularité, et de sa présence dans la vie d’une partie importante de l’humanité, il n’apparaît pas déraisonnable de postuler que Facebook ait pu avoir des effets tangibles sur les pratiques individuelles et collectives d’une partie importante de l’humanité.

On s’interrogera notamment, dans cette quatrième partie, sur les effets que Facebook a pu avoir sur la vie personnelle d’une partie importante de la population mondiale, et plus particulièrement : sur nos façons d’interagir avec autrui, de gérer notre image, de partager et consommer l’information, ou sur notre conception de la vie privée – qu’il s’agisse de la nôtre ou de celle d’autrui.

Mais pour ce faire, il faudra dans un premier temps s’entendre sur ce qu’est Facebook – c’est-à-dire décrire au moins son fonctionnement, comprendre la logique des services qu’il propose, et tenter d’établir ce que les individus recherchent lorsqu’ils ont recours auxdits services. Il nous faudra, en d’autres termes, répondre aux questions suivantes : Comment Facebook nous sollicite-t-il ? Comment stimule-t-il et oriente-t-il nos interactions ? Que nous fait-il faire, et comment nous fait-il agir ?

Qu’est-ce que Facebook ?

Selon l’expression consacrée, Facebook est un réseau social ; par quoi on peut comprendre un service qui propose à ses usagers de les mettre en réseau – et ce afin de faciliter leurs prises de contact et/ou leurs interactions.

Par « réseau », on doit alors comprendre, pour parler en termes formels, une structure consistant en un nombre fini d’éléments (bien que ce nombre soit en perpétuelle évolution, à mesure par exemple que Facebook gagne ou perd des usagers), et qui sont interconnectés de telle manière que tout point en son sein est relié à tout autre de manière soit directe, soit indirecte – c’est-à-dire qu’on peut, à partir de tout point interne à la structure, parvenir à tout autre point interne, en transitant par un nombre fini de points internes.

Les points, en l’occurrence, sont soit des personnes, soit des groupes de personnes, soit des forums thématiques, eux-mêmes représentés par des interfaces dédiées (les « pages Facebook »), qui sont administrées depuis des comptes dont des individus identifiés répondent contractuellement (via le contrat signé par l’usager au moment de son inscription).

Les liaisons directes entre ces « points » consistent en droits d’accès, possibilités d’échange d’informations et possibilités (réciproques ou pas) d’édition limitée de contenus, elles-mêmes déterminées, d’une part contractuellement entre l’usager et l’entreprise Facebook (les profils, déclarés publics, semi-publics ou privés, déterminent des droits d’accessibilité restreints à certaines autres catégories d’utilisateurs), d’autre part de gré à gré et dans ce cadre contractuel avec d’autres usagers.

S’inscrire sur Facebook, en tant qu’usager individuel ou collectif, c’est donc : se créer un compte, c’est-à-dire une adresse et un statut d’utilisateur ; recevoir des droits et devoirs dont les termes sont juridiquement fixés par un contrat (conditions d’utilisation auxquelles l’acteur donne son consentement) ; et recevoir un droit d’accès limité à un réseau étendu où interagissent un grand nombre d’usagers. Ledit compte ouvre droit à plusieurs services :

  • un ensemble de pages personnelles avec droit d’écriture : un journal, où publier des textes ou des liens vers d’autres pages web ; une page contenant éléments biographiques et d’identité ; un album de photographies personnelles ; un carnet de relations, comprenant la liste de nos « amis » ;

  • une interface d’accès aux pages d’autres utilisateurs ;

  • un système de présentation synthétique de l’activité de nos « amis » (le fil d’actualité), régi par un algorithme censé en adapter l’économie à nos usages et intérêts préférentiels ;

  • un système de réactions, publiques ou privées, aux activités de nos contacts ;

  • un système de messagerie privée ;

  • un système de repérage de personnes que je suis susceptible de connaître ou d’avoir connues ;

  • un ensemble de services variés de mise en contact (organisation/diffusion d’événements, diffusion de jeux, etc.).

L’entreprise Facebook, pour sa part, fournit l’ensemble de ces services sans contrepartie financière, mais en l’échange d’une licence d’exploitation du contenu posté par l’usager. Ce qui signifie une chose très importante : l’utilisateur conserve bien la propriété intellectuelle de tout ce qu’il publie sur Facebook – c’est-à-dire le droit de revendiquer la paternité du contenu, de le commercialiser, de décider de ses modalités de diffusion, d’en réclamer la suppression ou de s’opposer à une utilisation qui lui soit préjudiciable ; mais l’utilisateur donne à Facebook le droit d’exploiter commercialement ce contenu. Ainsi, comme il est précisé dans les conditions d’utilisation de Facebook :

« …lorsque vous partagez, publiez ou importez du contenu protégé par des droits de propriété intellectuelle sur ou en rapport avec nos Produits, vous nous accordez une licence non exclusive, transférable, sous-licenciable, gratuite et mondiale pour héberger, utiliser, distribuer, modifier, exécuter, copier, représenter publiquement ou afficher publiquement, traduire et créer des œuvres dérivées de votre contenu (conformément à vos paramètres de confidentialité et d’application). Cela signifie, par exemple, que si vous partagez une photo sur Facebook, vous nous autorisez à la stocker, la copier et la partager avec d’autres personnes (une nouvelle fois, conformément à vos paramètres), telles que des fournisseurs de services qui prennent en charge notre service ou les autres Produits Facebook que vous utilisez. Cette licence prend fin lorsque votre contenu est supprimé de nos systèmes (source : disponible ici). »

Ce qui permet notamment à Facebook d’utiliser ou de revendre les données utilisateur afin de proposer des publicités ciblées.

Pourquoi avons-nous recours à Facebook ?

Ces quelques rappels effectués, il est aisé de se représenter ce que les usagers recherchent lorsqu’ils utilisent Facebook :

  • des pratiques de sociabilité, bien évidemment : conversations, échanges d’informations, partages de produits culturels, entretien de liens sociaux, élargissement du cercle de connaissances, retrouvailles avec d’anciennes connaissances, etc. ;

  • des pratiques de « réseautage », pour employer un néologisme : Facebook est un outil intéressant pour se créer ou entretenir un réseau professionnel ;

  • des opportunités de communication avec un public (par exemple militant) ou une clientèle (si on est commerçant) ;

  • mais aussi, pour les particuliers, la satisfaction de penchants indiscrets, pour ne pas dire voyeuristes (surveillance et commentaire de ce que font les autres, examen de leurs photographies, comparaison de leurs réussites et de leurs échecs avec les nôtres, etc.) ;

  • par ailleurs, des gratifications narcissiques de divers ordres : plaisir de se mettre en scène, de parler de soi, de faire ressortir les éléments les plus flatteurs de sa biographie, de compter les « like », réactions et commentaires à ses publications, etc. ;

  • enfin, des opportunités de découverte (de personnes, de groupes, d’événements) liées à l’exploration du réseau et à la pratique de ses algorithmes de sélection et de présentation de l’information.

D’où cette conclusion que nous pouvons esquisser : si Facebook a connu un succès aussi fulgurant, c’est parce que :

  1. Il satisfait certains des besoins, désirs et demandes les plus insistants d’une partie très importante de la population mondiale – que ces demandes soient d’ordre personnel ou professionnel.

  2. Il permet la satisfaction de cette demande par l’intermédiaire d’une interface simple et intuitive.

Comment interagissons-nous sur Facebook ?

Sachant comment fonctionne Facebook, il n’est pas étonnant de constater que les interactions n’y répondent pas aux mêmes règles, ni ne présentent les mêmes dynamiques, qu’en face à face ou par la médiation d’autres techniques (téléphone, courrier, visioconférence, etc.) : elles sont en partie déterminées et structurées, comme du reste toute interaction médiatisée, par certaines propriétés du medium. Ainsi, par exemple :

  • la non-présence physique de l’interlocuteur, sa symbolisation par un avatar minimal, ont par exemple un effet désinhibant sur les usagers, qui explique pour partie la violence d’un nombre significatif d’échanges ;

  • le caractère public ou semi-public des discussions et réactions sur fil d’actualité pousse les individus à se mettre en représentation, ce qui tend à exacerber les postures prises par les interactants (d’où une tendance souvent constatée aux prises de position outrancières dans les échanges et discussions non strictement privées) ;

  • la mise en contact et en réseau des usagers ne doit rien au hasard des rencontres, mais est largement orientée par les propriétés des algorithmes de Facebook – lesquels, comme on verra, reproduisent voire aggravent les déterminismes sociaux qui agissent déjà dans la configuration de nos réseaux de socialité ;

  • la sélection des contenus du fil d’actualité ainsi que des événements entraînant notification à l’usager crée des biais de perception : n’étant mis au contact que des contenus que l’algorithme « estime » susceptible de nous plaire (en se basant sur les données utilisateur déjà collectées), nous avons le sentiment que le monde est conforme à nos opinions ;

  • la quantité importante d’informations qui, dans nos fils d’actualités, nous parviennent sous forme de liste indéfiniment déroulable, ainsi que le caractère convivial et ludique de leur présentation, tendent à inhiber toute forme de recul critique, et à nous faire prendre pour argent comptant (et par conséquent à nous faire rediffuser) des informations pourtant discutables, voire erronées ;

  • l’offre qui nous est faite d’exposition et de mise en valeur (via notamment les réactions de nos contacts) de contenus intimes, nous pousse à publier et commenter des informations dont la mise en avant, en toute autre occasion publique, nous eût paru impudique.

L’idée selon laquelle Facebook serait un simple moyen de communication, de mise en relation de personnes et de diffusion transparente d’informations doit donc être vivement critiquée : le réseau social préféré des humains, qui regroupe près d’un tiers de la population mondiale, a des effets structurants sur le comportement et les représentations de ses usagers.

Dans les chapitres qui suivent, on tentera :

  1. D’examiner certains de ces effets structurants.

  2. D’établir si les usages constatés sur Facebook ont des effets sur les pratique de la vie « off line ».

  3. De réfléchir à quelques moyens utiles à la correction de ces effets lorsqu’ils sont préjudiciables.

Sources complémentaires

Bastard I., Cardon D. , Charbey R. , Prieur C., Cointet J.P., « Facebook, pour quoi faire ? Configurations d’activités et structures relationnelles. », Sociologie, Presses Universitaires de France, 2017, 8 (1), p.57-82. hal-01594564

Bohn A., Buchta C., Hornik K. & Mair P. (2014), “Making friends and communicating on Facebook: Implications for the access to social capital”, Social Networks, vol. 37, p. 29-41

Boyd d. & Ellison N. (2007), “Social network sites: Definition, history, and scholarship”, Journal of Computer-Mediated Communication, vol. 13, n°1

Burke M., Kraut R. & Marlow C. (2011), “Social capital on Facebook: Differentiating uses and users”, Proceedings of the 2011 Annual Conference on Human Factors in Computing Systems, New York, p. 571-580

Dagiral E., Martin O.(2016) L’ordinaire d’Internet. Le web dans nos pratiques et relations sociales, Paris, Armand Colin.

Ellison N.B., Steinfield C. & Lampe C. (2007), “The benefits of Facebook «friends»: Social capital and college students use of online social network sites”, Journal of Computer Mediated Communication.

Gee L.K, Jones J. & Burke M. (2016), “Social Networks and Labor Markets: How Strong Ties Relate to Job Finding On Facebook’s Social Network”, Journal of Labor Economics

Jones J., Settle J.E., Bond R. M., Fariss C. J., Marlow C. & Fowler J. H. (2013), "Inferring tie strength from online directed behavior", PLOS ONE, 8.

Perrin A. (2015), Social Media usage : 2005-2015, Pew Research Center.

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