Maintenant que vous savez qu’il est nécessaire de clarifier les termes, nous allons nous concentrer sur celui qui est le plus souvent malmené : l’objectif pédagogique.
Un objectif pédagogique, qu’est-ce que c’est ?
Vous ne connaissez peut-être pas cette expression. À chaque fois que vous rencontrerez ce cas de figure, dans ce cours ou en général, je vous conseillerai d’analyser l’expression. Analyser, c’est décomposer un tout en plusieurs parties et essayer de comprendre chaque partie (puis les relations entre les parties). Alors, avec cette logique, un objectif pédagogique est d’abord un objectif. Il doit donc définir un résultat, qui correspond à un progrès.
Puisque c’est un objectif, on doit également pouvoir l’évaluer. Il faut pouvoir déterminer la frontière entre un objectif atteint et un objectif non atteint. Peut-être pourrez-vous également déterminer différents niveaux d’atteinte de l’objectif.
L’idée qu’il soit pédagogique signifie qu’il concerne les apprentissages. C’est un objectif qui va exprimer une compréhension, une capacité à faire, à se comporter… mais pas à évaluer un résultat en situation de travail. Ainsi, il est différent des objectifs opérationnels qui, eux, concernent l’activité professionnelle et s’évaluent (logiquement) en situation de travail.
Définir ces objectifs est très important, car ils constituent la base de la construction de la formation. Les objectifs opérationnels appartiennent au client avant tout et transcrivent la réalité du travail ; les objectifs pédagogiques appartiennent au chef de projet pédagogique et transcrivent la réalité (à venir) de la formation. La déclinaison des objectifs opérationnels en objectifs pédagogiques est en fait la première étape du design de la formation.
Pour illustrer cela, prenons une compétence de l’ingénieur / manager pédagogique :
“Recruter des intervenants pour animer un dispositif pédagogique”.
L’objectif opérationnel correspondant est de recruter 20 intervenants compétents dans l’année. Ces intervenants devront partager les principes et méthodes pédagogiques de l’organisme. Le processus de recrutement et les contrats de travail conclus devront respecter la réglementation du travail en vigueur. Cet objectif accepte un taux d’erreur maximum de 5%.
C’est évidemment une formulation très complète. On aurait pu avoir une formulation courte comme “recruter 20 intervenants compétents dans l’année, dans le respect des règles de l’organisme et du droit”.
Les objectifs pédagogiques rattachés concernent l’application de la réglementation du travail, l’évaluation de la compétence et l’évaluation de la pédagogie. Cela signifie par exemple qu’en tant qu’ingénieur pédagogique, vous devrez connaître les méthodes d’évaluation des compétences et que vous maitriserez une méthodologie pour les mettre en œuvre en situation de recrutement.
Pour formuler ces objectifs pédagogiques, on pourra s’aider d’une taxonomie, créée par Benjamin Bloom et révisée par David Krathwolh.
Cette typologie se base sur des verbes d’action ; cela exprime bien l’idée que l’objectif vise un résultat positif, une évolution. Ensuite, on identifie que la taxonomie propose des types d’objectifs : cognitifs ou comportementaux. On identifie également que les objectifs pédagogiques (appelés objectifs d’apprentissage chez B. Bloom) fonctionnent par niveaux.
Cette typologie s’avère donc utile pour développer des stratégies d’apprentissage et concevoir une évaluation. Elle se concentre néanmoins sur les apprentissages à dominante cognitive. Elle ne couvre donc pas toutes les situations. Il existe des taxonomies complémentaires pour les domaines affectif (par D. Krathwohl également) et psychomoteur (taxonomies de Simpson, Harrow). Vous pourrez retrouver ici une bonne présentation de ces différentes taxonomies.
Ces taxonomies constituent des aides utiles pour définir des objectifs pédagogiques : elles donnent un domaine, un niveau et une base pour la formulation.
Ainsi, ceux de notre exemple pourraient être :
appliquer les règles de droit du travail relatives au recrutement d’un formateur ;
évaluer les compétences techniques d’un formateur à l’aide d’un référentiel de formation.
L’évaluation sous-entend que l’ingénieur pédagogique connaît, au moins en théorie, ces compétences techniques. Il en va de même pour appliquer des règles du droit du travail : cela sous-tend que l’ingénieur connaît celles-ci ou du moins dispose d'éléments pour évaluer l'application de celles-ci.
Par rapport à ces dépendances d’objectifs, on retrouve la nécessité d’avoir le “point de départ” et la notion d’amélioration dans l’objectif. Si l’ingénieur ne connaît pas du tout le droit du travail, vous devrez ajouter aux objectifs pédagogiques la connaissance de celui-ci. Si, par contre, il les connaît (ou est censé les connaître), vous n’intégrerez pas “connaître les règles du droit du travail” aux objectifs. C’est ce qu’on appelle un prérequis.
Vous avez presque construit des objectifs pédagogiques. Pourquoi presque ?
Souvenez-vous : au début du chapitre, j’ai indiqué que l’objectif nécessitait de prévoir le critère ou le niveau d’atteinte de l’objectif.
Par exemple, l’objectif d’appliquer les règles du droit du travail pour le recrutement peut s’évaluer sur une échelle à quatre niveaux :
débutant,
pratique autonome,
maîtrise,
expertise.
Ces quatre niveaux doivent, bien sûr, être définis pour que l’évaluation soit objective. Je vous propose la classification suivante, basée sur la complexité et la responsabilité :
débutant : peut réaliser une opération standard à l’aide d’un guide (procédure, aide…) et sous la validation d’un tiers ;
pratique autonome : peut réaliser une opération standard, peut réaliser des opérations hors cas standard avec assistance ou validation externe ;
maîtrise : réalise toutes les opérations (standard, cas particuliers) en adaptant si nécessaire le processus ;
expertise : maîtrise + est capable de créer de nouveaux outils, de nouveaux processus et de transférer son savoir-faire à d’autres jusqu’à la maîtrise.
Dans notre exemple, on souhaite que l’ingénieur pédagogique ait un niveau de pratique autonome sur l’application des règles de droit du travail. On souhaite donc qu’il :
propose et diffuse une offre d’emploi définie et non-discriminatoire ;
mène un entretien d’embauche en respectant les droits et devoirs de l’employeur et du candidat ;
propose des contrats de travail types aux formateurs.
Pour l’évaluer, on peut analyser les processus de recrutement menés par l’ingénieur pédagogique jusqu’à présent.
Pour valider le résultat, on pourra mobiliser un outil ou une ressource, comme un compte-rendu d’entretien. Nous aurions pu opérer le même travail sur l’évaluation des compétences techniques.
L’objectif pédagogique, c’est finalement un ensemble de trois éléments :
un résultat : le(s) formateur(s) recruté(s) justifie(nt) des compétences inscrites au référentiel, avec un niveau déterminé ;
une activité : le passage d’un test pour évaluer les compétences ;
un moyen : un questionnaire standardisé pour chaque domaine de compétence.
Je vous invite à reproduire ce processus de déclinaison d’un objectif de formation en objectifs pédagogiques, c’est une excellente application pour vérifier que vous avez compris ce chapitre.
N’hésitez pas à proposer vos déclinaisons sur le forum !
Pour ma part, je vous attends au chapitre suivant, celui des dispositifs. :)