Création de modèles mentaux
L’être humain est un être qui a une très grande capacité d’adaptation à son environnement. Pour cela, l’individu (mais cela est vrai pour tout organisme vivant), dispose d’un mécanisme très simple mais à la fois très puissant : le couplage perception-action. Nous percevons une situation, et nous agissons en conséquence. C’est le mécanisme cognitif de base qui régit les activités les plus complexes.
Le principe est le même lorsqu’un utilisateur découvre ou redécouvre un logiciel, une application ou un site. Il se fera une idée de la manière dont le service fonctionne, qu’il projettera sur le service pour planifier des actions.
En tant que designers, nous devons bien comprendre comment fonctionnent nos utilisateurs, et notamment leurs modèles mentaux pour mieux répondre à leurs besoins, et ce, au bon moment.
C’est ce que propose Donald Norman dans sa théorie de l’action. Il décrit la psychologie d’une personne réalisant une tâche et y définit 7 étapes consécutives :
Établissement du but : on forme une représentation mentale de l’état à atteindre.
Formation d’un plan ou intention d’action : c’est l’état précis de ce qui doit être fait pour atteindre le but.
Spécification d’une suite d'actions à effectuer pour produire l’effet de l’intention.
Exécution des actions planifiées.
Perception de l'état du système : il s’agit de percevoir les répercussions de la suite d’actions réalisées.
Interprétation de l’état du système : l’utilisateur va donner du sens à ce qu’il perçoit.
Évaluation de l’état par rapport au but fixé : comparaison de ce qui est obtenu avec ce qui était attendu.
Il y a donc la phase d’action : par rapport à la situation actuelle, j’établis des buts à atteindre, je forme ensuite des intentions qui me permettront d’atteindre ces buts. Ces intentions seront ensuite transformées en une suite d’actions.
Ensuite, lorsque le système va réagir (ou ne pas réagir), l’utilisateur va évaluer son action : il perçoit l’état du système. Ensuite, il interprète cet état et l’évalue par rapport aux buts fixés au départ.
Voici une courte vidéo où il parle du terme UX :
Prenons un cas concret. J’avais observé une personne qui interagissait avec un service de réservation de billets de trains. Il fallait indiquer la gare de départ, celle d’arrivée, la date de l’aller et celle (éventuellement) du retour, ainsi que l’heure à compter de laquelle la personne souhaitait partir.
La personne avait indiqué sa gare de départ, sa gare d’arrivée et le jour de son départ.
Cette personne ne prend jamais le train, mais est habituée aux interfaces de transports en commun.
Sur ces interfaces de transports en commun, généralement il n’est pas possible de prévoir à la fois l’aller ET le retour. Il est proposé à l’utilisateur de choisir un trajet.
De plus, sur ces interfaces, on peut choisir soit de partir à une certaine heure, soit d’arriver avant une certaine heure.
Via l’interface RATP, nous pouvons choisir de prévoir un trajet soit à partir d’une heure de départ, soit une heure d’arrivée. Or ce n’est pas le cas sur le site de réservation de billets de train.
Cette personne avait donc constitué un modèle mental de la manière dont fonctionnent les interfaces de prévision de trajets à partir d’interfaces d’itinéraires de transports en commun. Elle s’était établie un but : consulter l’itinéraire aller.
Ce but est né lors de son utilisation antérieure de sites de transports en commun. Elle avait donc formé un plan d’action reposant sur ce but. Mais elle ne comprenait pas pourquoi on lui demandait un second horaire “à partir de”. Cela ne correspondait plus à son modèle mental.
Or, la réservation d’un billet de train fonctionne différemment puisque nous recherchons à la fois un trajet aller, mais aussi un trajet retour.
Ainsi, elle ne comprenait absolument pas pourquoi il fallait qu’elle choisisse à la fois un horaire de départ, et en même temps un horaire d’arrivée. Pour elle, cela fonctionnait comme une interface de transports en commun. Elle pensait que l’horaire de la seconde ligne correspondait au choix d’un horaire auquel le train allait arriver (exemple : arriver avant 17 heures).
Ainsi, la représentation mentale de cette personne l’empêchait de comprendre réellement ce que le site lui demandait.
Qu’est-ce qu’un modèle mental ?
Un modèle mental est une représentation mentale permettant de simuler mentalement le déroulement d’un phénomène pour anticiper les résultats d’une action. Plus simplement, c’est ce que l’utilisateur croit comprendre de la manière dont le système fonctionne.
On parle bien ici de croyances, et non de connaissances, ce qui important. Car un principe majeur de ces modèles mentaux réside dans la capacité des êtres humains à transférer les attentes de la manière dont le système fonctionne, sur la base d’expériences similaires.
Ainsi, nos attentes vis-à-vis du fonctionnement, par exemple d’un site Web, sont définies par notre longue expérience d’interaction avec d’autres sites. Avant même d’entrer sur ce site, on s’attend à :
Trouver un menu, soit en haut de la page, soit à gauche.
Lors de la navigation, on s’attend à ce que nous puissions revenir à la page d’accueil en cliquant en haut à gauche sur le logo du site.
Ainsi, lorsque nous appréhendons un nouveau système, nous ne partons pas de zéro comme un enfant, mais nous nous reposons sur nos modèles mentaux pour établir des hypothèses afin d’agir.
Les modèles mentaux sont clairement construits par nos expériences antérieures. Récemment, un designer me parlait d’un de ces projets sur lequel il travaillait avec des utilisateurs africains, pas du tout habitués à interagir avec des sites Web. Il avait fait des tests utilisateurs avec eux et s’était rendu compte que le concept de maison ne fonctionnait pas pour définir la page d’accueil. Ce n’était pas clair pour eux.
Alors, en échangeant avec eux, il proposa le concept de place du marché. Ce concept leur parlait davantage. En effet, la place du marché, c’est là où on trouve tout ce dont on a besoin. Il était donc plus naturel de parler de place du marché que de page d’accueil.
En tant qu’UX designer, nous devenons des experts de l’interaction humain-système, nos modèles mentaux sont donc différents de nos utilisateurs. Charge à nous de bien identifier les modèles de nos utilisateurs. Et attention, ils peuvent varier selon les groupes d’utilisateurs.
Les erreurs à éviter
Comprendre le concept de modèle mental vous permettra d’éviter de grosses erreurs en proposant des interfaces complètement à côté de la plaque. C’est arrivé à de nombreuses plateformes, et pour certaines, très connues. En voici deux exemples :
Le levé de bouclier contre la nouvelle refonte de l’interface de Snapchat
C’est une mise à jour qui a fait grand bruit. Snapchat a refondu ses interfaces et a proposé une nouvelle mise à jour en novembre 2017 aux USA et début février 2018 en France. Elle a été très mal vécue par ses utilisateurs et ils ont été jusqu’à 1,2 million à signer une pétition pour que Snapchat revienne sur sa nouvelle version.
“D’après certains analystes, les résultats financiers décevants de Snapchat – tant en termes financiers qu’en nombre d'utilisateurs – au premier trimestre sont vraisemblablement dus en partie à ces changements.”, paru dans L’obs du12/05/2018.
Finalement, mi-mai, Snapchat annonce que l’entreprise va revenir sur sa décision et faire machine arrière.
Évoluer oui, mais garder sa vocation
Une histoire similaire est arrivée à Skype. Depuis longtemps réputé pour son service de Voix sur IP (ou VOIP), Skype a voulu se rapprocher de son concurrent Snapchat, en décevant au passage de nombreux utilisateurs. “Entre autres critiques, les utilisateurs du service lui reprochent donc une interface qui leur semble beaucoup moins claire qu’auparavant, rendant plus compliquée des actions simples comme passer un appel, se rendre invisible ou consulter le statut d’un de ses contacts.”, nous rapporte Tom’s guide dans son article La nouvelle version de Skype se fait descendre sur Internet.
Ainsi, en voulant évoluer, Skype a perdu de vue sa vocation première et provoqué une grande confusion chez ses utilisateurs.
Soyez au clair avec les modèles mentaux de vos utilisateurs
Ainsi, bien comprendre les modèles mentaux de vos utilisateurs permettra de mieux comprendre leur raisonnement et leurs attentes. Lorsqu’ils se comportent d’une manière inattendue par rapport à ce que vous espériez, c’est souvent parce qu’ils n’ont pas les mêmes modèles mentaux que vous. Leurs raisonnements passent par des chemins différents, que vous n’aviez pas nécessairement anticipés.
Les modèles mentaux peuvent faciliter, mais aussi empêcher un usage fluide de la part des utilisateurs. D’où l’intérêt d’essayer de bien identifier les modèles mentaux de vos utilisateurs.
Le meilleur moyen d’y arriver est de faire régulièrement des tests utilisateurs auprès d'utilisateurs aguerris, mais aussi auprès de novices. Cela vous permettra d’avoir en tête les représentations mentales de vos utilisateurs et de proposer des design totalement adaptés aux modèles mentaux des personnes pour qui vous créez.
En résumé
Dans ce chapitre, nous venons de voir en quoi il était intéressant de comprendre et d’analyser les modèles mentaux des utilisateurs de vos service pour le design.
La théorie de l’action de Donald Norman décrit les 7 étapes qui permettent aux modèles mentaux d'être créés et entretenus.
Nous avons vu également de nombreux exemples d’application des modèles mentaux et comment le fait de procéder à une mise à niveau radicalement différente peut perturber les utilisateurs.
Pour aller plus loin
Un article du blog de Rafaël Yharrassarry sur la psychologie cognitive appliquée au Web.
Mise à jour Snapchat : pour mieux comprendre la mise à jour de fin 2017 qui a fait tant de bruit, regardez cette vidéo :
Deux articles sur le sujet :
Face à ses utilisateurs mécontents, Snapchat revient sur la refonte de l’application de Challenges du 12 mai 2018
La dernière mise à jour de Snapchat débarque sur les écrans et fâche les utilisateursdu Huffington Post du 7 février 2018, par Cassandra de Carvalho