Rendez-vous avec l’illusion de l’échiquier d’Adelson
Pour vous faire découvrir les biais cognitifs, je vous propose un petit test : observez cet échiquier, conçu par Adelson, chercheur du MIT (Massachusetts Institute of Technology), pour illustrer sa théorie sur les illusions d’optique.
De quelles couleurs sont les cases A et B ? Sont-elles différentes ?
Réponse : La case A et la case B sont de couleur identique… Vous avez perçu des choses très différentes de la réalité. Pourquoi nous semblent-elles de teintes différentes ? Parce que notre œil est trompé par l’ombre portée du cylindre vert. Il rectifie et éclaircit automatiquement la B.
Explications : Lorsque nous observons cette image, nous ne l’interprétons pas de façon isolée, mais en mobilisant les connaissances que nous avons sur le monde. Or, nous savons que le motif d’un échiquier est composé d’une alternance de diagonales de cases tantôt claires, tantôt foncées... Le cerveau uniformise ce que nous voyons, il compense les variations de luminosité pour obtenir un effet plus stable, qui correspond à ce que nous savons d’un échiquier. Cette particularité nous facilite la vie, mais elle peut nous induire en erreur ; on appelle ce phénomène la constance des couleurs.
Notre cerveau nous joue parfois des tours ! Il trompe parfois nos perceptions, comme on peut le voir avec les illusions d’optique. Mais il peut aussi biaiser nos interprétations et nos jugements...
Découvrez l’origine des biais cognitifs
Chaque jour, nous sommes bombardés d’infos que notre cerveau doit percevoir, analyser, trier et parfois même stocker. Notre cerveau aime ce qui est cohérent, familier et constant, et pour maintenir cet équilibre sans dépenser trop d’énergie, il opère des raccourcis cognitifs. Ces raccourcis répondent aujourd’hui à quatre grandes nécessités :
Savoir faire le tri parmi toutes les informations que nous recevons.
Identifier ce dont nous devons nous souvenir (ou pas !).
Agir vite.
Donner du sens à ce qui se passe autour de nous.
Mais parfois, elles entraînent des distorsions et des erreurs. On les qualifie alors de biais cognitifs.
À vous de jouer !
Pour rendre la notion de “biais cognitif” plus concrète, je vous invite à réaliser une petite activité mentale. Si je vous demande :
Quelle est la couleur d’un os ?
Quelle est la couleur de la neige ?
Quelle est la couleur d’un nuage ?
Quelle est la couleur d’une feuille de papier ?
Quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ?
Vous répondrez blanc à chaque interrogation.
Si juste après je vous demande :
Que boit la vache ?
Vous allez me répondre du lait. Pourtant vous saviez que la vache ne boit pas de lait mais de l’eau ! 🙈 Que s’est-il passé dans votre cerveau ? 😱 Je vous ai fait penser fortement à la couleur blanche, puis quand vous avez dû répondre vite à la question, votre cerveau a pensé au premier liquide blanc qui lui est venu en mémoire : le lait. C’est cela un biais cognitif, un automatisme du cerveau, un cheminement rapide et court qui n’est pas nécessairement le meilleur.
Face au danger ou à l’urgence, notre cerveau préfère agir vite, en lieu et place d’une analyse plus poussée, au risque de se tromper. Ces raccourcis de la pensée peuvent nous faire dévier soit vers une solution adaptée, soit vers une conclusion fausse…
D’accord, mais je croyais qu’il fallait écouter son intuition ? Comment faire si celle-ci nous joue des tours ?
Il est important d’écouter son intuition… Mais bien sûr, il ne faut pas se fonder que sur ça. Nous évoluons dans un monde complexe. Parfois, l’intuition est très utile, c’est elle qui nous permet de prendre des décisions rapides et souvent efficaces. En revanche, dans des situations de forte incertitude, il est important de prendre le temps d’étudier les données à votre disposition pour éviter les erreurs de raisonnement et biais cognitifs.
Analysez une situation professionnelle
Quels biais cognitifs avez-vous repérés ? Sélectionnez trois biais dans la liste suivante :
le biais de confirmation : favoriser les informations qui confirment nos croyances ;
le biais d’optimisme : voir uniquement le bon côté des choses ;
le biais rétrospectif : rationaliser après coup un événement imprévisible (“Je le savais depuis le début”) ;
le biais de statu quo : résister au changement, préférer l'inertie ;
le biais de cadrage : être influencé par la forme au détriment du fond ;
l’effet d’excès de confiance : être trop confiant par rapport à sa réelle maîtrise d’un sujet ;
le biais d’autorité : considérer que le chef a toujours raison ;
le biais d’ancrage : tendance à s’en tenir à la première information.
Vous avez terminé ? Je vous donne la réponse ! Les trois biais à l’œuvre ici sont : le biais de confirmation, le biais d’autorité et le biais d’ancrage.
Analysez le biais de confirmation
La phrase "Nous croyons ce que nous voulons croire" illustre parfaitement le biais de confirmation. Ne vous est-il jamais arrivé de consulter un article ou un livre pour y trouver des informations confirmant votre opinion ? Le biais de confirmation vient appuyer l’histoire qu’on se crée mentalement. Nous donnons de l’importance aux informations et aux signes qui vont dans le sens de notre décision, et les sélectionnons en lien avec nos objectifs ou nos croyances.
“Quand nous sommes face à des informations qui contredisent nos opinions nous les ignorons, nous les sous-pondérons et nous les mettons en doute.” Olivier Sibony.
Quand nous tombons dans ce biais, nous :
orientons subjectivement la recherche d’informations ;
regardons la question sous un seul angle ;
occultons les alternatives conduisant à d’autres solutions.
En ce qui concerne la situation d’Emma : on constate que son regard est orienté vers les informations qui confirment son désir de devenir UX designer. Le journal 20 minutes comprenait probablement d’autres publicités, mais l’attention d’Emma est portée sur celle valorisant une formation en UX design. De même pour le journal télévisé.
Je vous donne un autre exemple. Depuis une semaine, vous remarquez que votre N+1 ne passe plus dans votre bureau pour vous saluer. Vous aurez vite fait de conclure qu’il veut vous éviter. Ou d'en déduire qu’il préfère échanger avec l’un de vos collègues qu’il va d’ailleurs promouvoir ou solliciter pour un projet… Vous chercherez invariablement des preuves pour justifier son comportement, et interpréterez chaque fait et geste d'une façon biaisée qui va dans le sens de vos croyances, et de ce que vous vous êtes imaginé.
Comment faire pour apprivoiser ce biais cognitif ?
Pour déjouer ce biais, il vous faut chercher les preuves qui contredisent votre conviction. Cela revient à appliquer une démarche plus scientifique.
Petit moyen mnémotechnique : pour éviter de décider sur une première impression, appliquez l’acronyme VALID :
Valorisez toutes les sources d’informations.
Alertez votre entourage pour des avis variés.
Lâchez prise et suspendez votre jugement.
Inspectez le projet de A à Z.
Décidez de favoriser l’objectivité.
Analysez le biais d’ancrage
Le biais d’ancrage renvoie à la difficulté à se défaire d’une première impression. Le cerveau s’accroche à une donnée initiale et n’en démord plus. Cette dernière reste ancrée dans notre mémoire et notre inconscient. En ne retenant qu’une première info, une première valeur ou un premier élément, l’esprit n’arrive plus à apprécier et à prendre en considération les nouvelles informations, les nouvelles valeurs, ou à envisager autre chose. De la même façon, notre esprit aura du mal à se départir de la première impression que l’on se fait d’une personne.
Dans la situation d’Emma, à quel moment le biais d’ancrage se manifeste-t-il ?
Il se manifeste lorsque sa manager lui annonce ses nouveaux objectifs chiffrés : Emma garde le chiffre exorbitant en tête et perçoit sa situation sous ce prisme, en se disant qu’elle n’y arrivera jamais.
Je vous donne d’autres exemples :
Vous participez à une réunion importante, qui marque le lancement d’un nouveau projet. Vous ne connaissez pas les participants. La collaboratrice qui doit animer la réunion arrive en retard. Vous allez avoir tendance à garder d’elle le souvenir d’une personne peu fiable, alors que cet événement n’est pas représentatif de son professionnalisme habituel.
Lors de négociations salariales, vous demandez une augmentation et annoncez un chiffre à votre manager. Le trouvant en définitive trop bas, vous vous ravisez et proposez un chiffre à la hausse. La négociation tourne court car votre manager est resté focalisé sur le premier montant que vous lui avez partagé, et n’en démord pas.
Comment composer avec ce biais cognitif ?
Notre conseil : “Pour éviter de décider sur une première impression… », nous vous recommandons d’utiliser l’acronyme ANCRE :
Arrêtez d’interpréter dans l’urgence et jugez sur la valeur intrinsèque.
Ne vous arrêtez pas à la première information reçue.
Collectez plus d’informations avant de décider.
Réfléchissez à inverser les processus, à prendre d’autres points de comparaison.
Éludez par principe les premiers montants ou informations donnés.
Analysez le biais d’autorité
Le biais d’autorité se traduit par le fait que “le chef a toujours raison”, ou par la crainte de contredire un expert ou un sachant, ce qui vous empêchera de donner votre point de vue.
Dans la situation d’Emma, à quel moment le biais d’autorité se manifeste-t-il ?
Il se manifeste dans l’interaction qu’Emma a avec ses parents : elle se ravise immédiatement après que ses parents lui ont exprimé leur opposition à son projet de reconversion, par effet d’autorité.
Je vous donne d’autres exemples :
Vous travaillez dans une entreprise où vos supérieurs hiérarchiques sont des experts très reconnus dans le domaine IT, et vous êtes conscient que vous n’avez pas les mêmes compétences. Quand vous n’êtes pas d’accord avec leurs prises de décisions, vous préférez vous taire et vous ranger à leur avis, même lorsque cela concerne des aspects plus larges que de l’informatique pure et dure, comme des considérations éthiques, par exemple.
Aucun des experts européens n’a prédit la crise des subprimes. Comme les experts avaient affirmé qu’il n’y aurait aucune crise en dépit des signaux économiques en 2005 et 2006, la population a eu tendance à surévaluer leur opinion. L’autorité des sachants a eu raison sur les signaux qui auraient dû alerter.
Comment composer avec ce biais cognitif ?
“Pour éviter de se rallier en permanence à l’avis de l’autorité ou des experts… », nous vous recommandons d’utiliser l’acronyme COACH :
Convoquer son hiérarchique pour échanger.
Oser demander une explication sur le cheminement de sa pensée.
Argumenter avec méthode et confiance.
Considérer que la pensée unique ne fait pas progresser les choses.
Hausser sa posture et se faire confiance.
Emma peut s’inspirer du H de l’acronyme COACH et travailler sa posture pour parler d’adulte à adulte à son N+1, évitant ainsi de se mettre en sous-inclusion. Ainsi, elle apparaît comme une interlocutrice de référence, et se conditionne positivement pour oser affronter l’autorité et donner son avis.
En résumé
Dans ce chapitre, vous avez découvert que :
Les heuristiques sont des raccourcis empruntés par le cerveau pour décider rapidement et efficacement. La plupart du temps, elles sont extrêmement utiles !
Les biais cognitifs sont un sous-ensemble des heuristiques : il s’agit des raccourcis qui nous induisent en erreur.
Le biais de confirmation consiste à sélectionner uniquement les informations et données qui confirment les convictions qu’on s’est déjà forgées. Pour l’apprivoiser, poussez-vous à chercher des informations qui prouvent le contraire de ce que vous croyez.
Le biais d’ancrage consiste à rester focalisé sur la première information reçue. Pour vous en défaire, vous pouvez faire plus de recherches, vous appuyer sur d’autres points de comparaison avant de décider.
Le biais d’autorité consiste à se rallier à l’avis des experts ou des personnes qui font autorité. Pour composer avec ce biais, faites-vous confiance, apprenez à argumenter et à échanger sereinement avec votre interlocuteur.
Vous avez découvert comment les biais cognitifs pouvaient altérer vos prises de décisions. Vous avez désormais toutes les clés en main pour agir ! Dans la prochaine partie du cours, je vous invite à vous approprier des méthodes qui ont fait leurs preuves, pour décider efficacement.