Dans ce chapitre, nos vous proposons de découvrir ces deux interviews. Celle de Didier Roche, handi-preneur, fondateur des restaurants dans le noir, et Yvon Gattaz, ancien président du CNPF.
Découvrons avec eux, à travers leur parcours, leur vision sur l'entrepreneur et son histoire de vie.
Interview de Didier Roche
Qui est Didier Roche ?
Didier Roche est un handipreneur français créateur de la chaîne de restaurant « Dans le Noir ». Le concept ? Les clients dinent dans l’obscurité et sont guidés et servis par des serveurs aveugles. En 2004, il cofonde le fond d’investissements Ethik. En 2008, il fonde et préside l’Union Professionnelle des Travailleurs Indépendants Handicapés, destinées aux 58 000 personnes dans ce cas en France.
Lien Internet : http://www.danslenoir.com/
Lien UPITH : http://www.uptih.fr/Welcome-Welcome
Quelques questions...
Qu’est-ce qui t’a motivé à créer ton entreprise ?
Ma motivation à la création d’entreprise, je pense qu’elle vient de mon enfance où j’ai toujours aimé être celui qui donne vie à ses rêves : dans les jeux d’enfants, dans ce que je pouvais concevoir dans le groupe social dans lequel j’étais ; donc je pense que c’est déjà quelque chose qui était imprégné dans ma génétique. Et puis, lorsque mon handicap est arrivé, j’ai l’impression que ça a aussi été pour moi un moyen de montrer que j’existais, un moyen de montrer que malgré ma diversité, malgré mon handicap, je pouvais faire des choses contre toute attente.
Parce que évidemment, autour de moi, mes parents imaginaient toujours que ça allait être très compliqué, voire impossible de faire tout ce que j’avais envie de faire. Lorsqu’on est issu de la diversité, on sait aller au delà des normes, on sait aller au delà des conventions, parce que pour exister dans un monde normatif quand vous êtes différent, et bien vous n’avez pas d’autre choix que de toujours pousser plus loin les choses. Donc à un moment, j’ai eu aussi envie de mettre cette soif d’aller plus loin et cette générosité à la rencontre de l’autre, à la disposition de projets et notamment de projets innovants. Et puis, ma foi, de me dire que parmi les gens qui pourraient regarder ce parcours que certains aiment appeler « atypique », et bien que quelques uns puissent se dire « finalement c’est possible et je vais le faire aussi, je vais me lancer dans cette aventure », est très inspirant.
Je pense que c’est un peu tout ça qui m’a poussé à me lancer dans l’entrepreneuriat.
Que représente l’entrepreneuriat pour toi ?
L’entrepreneuriat représente pour moi la liberté d’entreprendre, la liberté de faire ce que je souhaite faire. Alors évidemment, ça a énormément de contraintes parce que vue par ce prisme là, on a l’impression que c’est « tous les jours la fête »… Non, ce n’est pas tous les jours la fête. Mais c’est cette liberté d’entreprendre, de faire ce que j’ai envie de faire, de bâtir un projet et surtout d’emmener les gens dans les projets que je souhaite bâtir qui est extrêmement valorisant pour moi. Valorisant parce que mes idées sont prises en compte par des gens qui me transmettent aussi leurs idées, et dont je prends leurs idées en retour. Bref, on se nourrit les uns les autres et on bâtit des choses.
Quel type de contraintes tu as pu rencontrer dans ton parcours entrepreneurial ?
Les freins que j’ai pu rencontrer dans mon parcours sont multiples : ça a d’abord été de devoir convaincre les acteurs type banquiers, assurances et autres, que malgré mon handicap, je pouvais entreprendre. Donc j’ai du avaler non pas des couleuvres mais parfois des forêts de baobab pour pouvoir avancer. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai crée l’Union Professionnelle des Travailleurs Handicapés. Je voulais que plus jamais, ou en tout cas le moins possible, les personnes handicapées ne soient contraintes d’accepter ce que j’ai dû accepter pour être un entrepreneur.
D’autres fois, ça a été plus simplement le regard extrêmement surpris des gens autour de moi : dans ma famille, mes amis, etc. de voir une personne différente se lancer dans un monde autour duquel il y a beaucoup de fantasmes. Les gens ont l’impression que le monde des entrepreneurs est un monde de requins, que c’est un monde de ceci, de cela. En fait pas du tout, c’est juste un monde d’Hommes, avec un grand « H » ; d’hommes avec un petit « h » et de femmes.
Et puis, j’ai eu à lutter contre mon pire ennemi : moi même. Parce qu’on peut accuser les autres de tous ses échecs, le pire ennemi que l’on a dans l’entrepreneuriat, c’est souvent soi même. Les systèmes souvent se bâtissent autour d’une démarche complétement absurde qui est « comment réussirais-je ? » et ça c’est toute la difficulté lorsqu’on est entrepreneur : bâtir des systèmes qui luttent contre ce coté, parfois un peu naturel et suicidaire que l’entrepreneur peut avoir, de ne pas voir la réalité, d’être emprisonné dans son système et de créer sa propre mort. J’ai vécu ça quelque fois dans ma vie d’entrepreneur et ça, c’est un vrai problème : être en fait celui qui tient la gâchette et qui est prêt à vous tirer dessus. Ça c’est la grande difficulté.
Quel message souhaites-tu adresser à ceux qui veulent entreprendre ?
J’ai envie de leur dire : allez-y, c’est une très belle aventure. Mais ne croyez pas qu’on s’enrichisse du jour au lendemain : ça il n’y a que le loto qui vous l’apporte ! Allez-y aussi pour autre chose que l’argent, il y a de belles aventures humaines qui s’écrivent au travers des projets que vous pouvez bâtir.
Il faut avoir la foi en son projet car c’est cette foi-là qui va vous permettre, au moment ou ça va être difficile, de vous donner la capacité d’avoir ce coup de rein nécessaire. Donc il faut cette petite flamme.
Et j’ai envie de terminer en vous citant Marcel Pagnol qui disait « ils savaient tous que c’était impossible, un imbécile est venu qui ne le savait pas, alors il l’a fait ». Voilà, soyez l’imbécile dont Pagnol parle ! Ne soyez pas obtus, écoutez ceux qui ont un peu d’expérience autour. Mais l’avenir appartient aux audacieux, et pour ceux qui sont issus de la diversité, je crois que le monde avance par la diversité.
Interview de Yvon Gattaz
Qui est Yvon Gattaz ?
Yvon Gattaz est un chef d’entreprise et ancien président du CNPF (Conseil National du Patronat Français), aujourd’hui rebaptisé MEDEF. Il est un fervent défenseur de l’entreprise et notamment des petites entreprises. A l’origine de la création de nombreuses associations liées au monde des entreprises, il est Grand-Croix de la Légion d’Honneur depuis 2013 et Grand-Croix de l’Ordre National du Mérite depuis 2005.
Quelques questions...
Président, qu’évoque pour vous le terme entrepreneuriat ?
Alors déjà, on différencie « entreprenariat » et « entrepreneuriat ». Comme je suis académicien, je crois qu’on va opter pour « entrepreneuriat » mais ça n’a pas beaucoup d’importance, c’est de la sémantique secondaire…
En ce qui concerne l’acte d’entreprendre, c’est très important car enfin, il révèle des qualités qui avaient étaient occultées pendant longtemps. Nous avons été soumis pendant longtemps à une sorte de dictature intellectuelle qui privilégiait des qualités de réception, un raisonnement d’abstraction déductive ; or l’entrepreneuriat c’est l’inverse de ça, ça demande au contraire un élan spontané par des qualités que nous appelons d’émission, pour parler comme les électroniciens, et qui sont des qualités tout à fait différentes.
Et cet entrepreneuriat a été longtemps boudé par les diplômés de l’enseignement supérieur qui pensaient justement avoir fait des études supérieures longues et couteuses pour avoir une vie tranquille par la suite. Et bien non ! Même après avoir fait des études longues, coûteuses avec des diplômes prestigieux, ça vaut la peine de se lancer dans une entreprise nouvelle à partir de 0. C’est une aventure plus qu’honorable, c’est une aventure fabuleuse qui vaut la peine d’être tentée, même par des diplômés !
Ma mission aujourd’hui ? Convaincre ces diplômés que c’est un métier non seulement honorable, mais passionnant et qu’il faut qu’ils s’y mettent tous ! Car la France a cet inconvénient majeur que même si elle crée enfin beaucoup d’entreprises, et depuis peu de temps d’ailleurs, ces entreprises restent des entreprises naines, toutes petites entreprises, qui innovent peu, investissent peu, et n’embauchent pas du tout ! Or dans ce domaine on compte un peu sur les entreprises nouvelles pour créer des emplois et on a raison. La multiplication des emplois passera par la multiplication des employeurs.
En quoi l’entrepreneuriat est-ce une histoire de vie ?
L’entrepreneuriat, on y consacre sa vie, on est entrepreneur ou on ne l’est pas ! Et c’est pour ça qu’il ne faut peut être pas pousser tous nos étudiants dans ce domaine. Il y a ceux qui ont ces fameuses qualités d’émission, qui n’ont paspeur de prendre des risques, des responsabilités. Si créer une entreprise, ça leur gâche leurs vacances, leur sommeil et même leur vie de famille, il ne faut pas qu’ils y aillent. Il y a des gens qui sont fait pour être conduit et d’autre pour être des conducteurs. Tout le monde n’est pas conducteur ; il n’y a pas que des locomotives dans les trains, il faut bien qu’il y ait quelques voitures qui suivent. Il y a donc encore beaucoup de postes disponibles qui nécessiteront d’ailleurs l’esprit d’entreprise, fameux esprit d’entreprise !, c’est-à-dire le goût des responsabilités, mais sans être créateur d’une entreprise à partir de 0 qui est, je le reconnais, une aventure passionnante, mais une aventure assez risquée.
Quelles sont les qualités que doit avoir un entrepreneur ou une personne, quel que soit son âge, qu’il soit homme, femme, senior ou autre, pour pouvoir réussir son expérience entrepreneuriale ?
Les qualités d’entrepreneuriat sont des qualités assez spécifiques et sont différentes de ces qualités intellectuelles qui permettaient d’obtenir tous les diplômes, et qui finalement sont des qualités de réception : compréhension, analyse, synthèse et mémoire. Les qualités de l’entrepreneur, et bien ce sont toutes les autres qualités que j’appelle les qualités d’émission qui sont absolument indispensables, je dis bien indispensables, pour pouvoir créer une entreprise.
Et je mettrais en tête, l’imagination créatrice qui n’est pas si courante que ça. Tout le monde croit avoir de l’imagination mais elle n’est pas toujours vraiment créatrice. Il y a la ténacité, la persévérance, car la création d’une entreprise est parsemée d’embuches, de murs qu’il faut franchir, de fossés qu’il faut sauter. Et puis il y a beaucoup d’autres qualités telles que l’entraînement d’une équipe, le goût du travail en commun, l’ascendant sur les autres, le charisme, car ces qualités de travail en commun sont indispensables.
Une entreprise, c’est toujours un travail en groupe et ce n’est pas la résolution isolée de problèmes individuels. Ce travail en groupe nécessite des qualités un peu particulières, d’ailleurs, dès qu’on est chef d’entreprise, on embauche des collaborateurs. Je dis souvent que c’est la qualité principale d’un chef d’entreprise : savoir conduire ses troupes car aujourd’hui le talent de la gestion c’est la gestion des talents.