Le Green IT traite des enjeux écologiques liés au numérique. Par “numérique”, nous désignons ici les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et leurs usages associés.
Les présentations du numérique mobilisent régulièrement des termes renvoyant une image de légèreté ou de pureté telles que :
virtuel ;
immatériel ;
dématérialisé ;
ou nuage/cloud.
Pourtant, d’après Marc Bidan (professeur à l’Université de Nantes), une telle présentation relève :
"a minima [d’]un euphémisme et au pire [d’]un abus de confiance”.
Source : article paru dans The Conversation
Pourquoi ? Le fonctionnement des TIC et des outils numériques repose sur une réalité profondément matérielle. Et comme le souligne Marc Bidan, “plus la dématérialisation des contenus – données, fichiers, flux – avance, plus la matérialisation des contenants – terminaux personnels, usines à données, réseaux – progresse”. Contrairement à certaines idées reçues, la transformation numérique se révèle ainsi gourmande en ressources naturelles et en énergie. Par conséquent, elle pose des problèmes écologiques grandissants que nous allons explorer ensemble dans ce chapitre. C’est parti !
Consommation d’énergie et émission de gaz à effet de serre
D’après vous, quels sont les impacts écologiques du numérique ? Je vous invite à prendre quelques minutes pour en lister 3 avant de poursuivre le chapitre.
Pour répondre à cette question, prenons tout d’abord quelques chiffres-clés et tendances. Ils vont nous permettre d’avoir des ordres de grandeur. À l’échelle mondiale, en 2017, la fabrication et l’usage des outils du numérique ont consommé 3000 TWh d’énergie (soit 2,7 % du total de la consommation) et émis 1800 Mt CO2e de gaz à effet de serre (GES) (soit 3,4 % du total des émissions) (source : The Shift project).
Si le numérique était un pays, il serait le 2e plus gros consommateur d’énergie au monde et le 4e plus gros émetteur de GES (chiffres pour l’année 2017, sources : Enerdata, Global carbon atlas et The Shift project [scénario expected updated]).
TOP 5 des plus gros consommateurs d’énergie | TOP 5 des plus gros émetteurs |
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Tant la consommation d’énergie du numérique que ses émissions de gaz à effet de serre sont en croissance rapide (environ 9 % par an en moyenne pour chaque impact). Ces impacts écologiques sont donc amenés à croître fortement. Le think tank The shift project estime ainsi qu’à l’échelle mondiale, le numérique émettait en 2017 plus de GES que l’ensemble du transport aérien et pourrait en 2025 en émettre autant que l’ensemble du transport routier (soit 8 % des émissions totales).
Deux facteurs principaux peuvent expliquer cette croissance importante :
La multiplication des équipements : dans les pays occidentaux, on comptait par exemple un équipement (ordinateur personnel) pour plusieurs personnes dans les années 1980, un par personne dans les années 1990 et 2000 et plusieurs par personne à partir des années 2010 (ordinateurs, smartphone, tablettes, objets connectés, etc.). Les autres pays suivent actuellement la même trajectoire.
L’explosion du volume de données échangées : la croissance du nombre d’utilisateurs d’internet, du nombre d’équipements par utilisateur et des débits (grâce notamment à la fibre optique et aux technologies mobiles 4G et 5G) entraîne une croissance exponentielle du volume de données échangées. L’équipementier Cisco prévoit une croissance de 25 % par an en moyenne sur la période 2016-2021 (source : The Shift project). D’après l’ARCEP, le seul volume de trafic de données mobiles a été multiplié par plus de 20 en France entre 2012 et 2017. Cette croissance est essentiellement imputable au trafic vidéo qui représente déjà une part écrasante du volume des données échangées (près de 80 %).
Épuisement des ressources, pollution de l’air, de l’eau et des sols
Au-delà de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, le processus de fabrication et l’usage des outils du numérique mobilisent d’importantes quantités de métaux, d’eau et de produits chimiques. Ils rejettent également de grandes quantités de polluants dans l’air, l’eau et les sols.
Pour mieux comprendre d’où proviennent ces impacts écologiques, nous pouvons utiliser une méthode issue de l’écoconception : l’Analyse en cycle de vie (ACV). Celle-ci consiste à mesurer l’ensemble des effets quantifiables d’un produit ou d’un service sur notre environnement naturel durant les différentes phases de son cycle de vie (du début de sa fabrication à sa fin de vie) (source : ADEME). Par exemple, le cycle de vie d’un smartphone comporte les phases suivantes :
Extraction des matières premières et raffinage
Fabrication et assemblage des composants
Distribution du produit fini
Utilisation
Fin de vie
Durant chacune de ces phases, on peut observer des effets quantifiables sur notre environnement naturel.
Source de l'image : Eric Drezet, 2013, Impacts environnementaux et sociétaux des équipements informatiques. Crédits photo : icônes conçues par Flat icons, Freepik, Goodware, Mavadee, Monkik, Surang, Smashicones et Ultimatearm pour www.flaticons.com.
Les outils du numérique reposent sur une grande diversité de matériaux : métaux, plastiques, verre, céramique, etc. Une étude d’Orange labs montre par exemple qu’un smartphone comprend en moyenne une trentaine de métaux différents, notamment du cuivre, de l’étain, du cobalt, du lithium, des métaux précieux (or, argent, platine) et des “terres rares”.
La multiplication des équipements se traduit par une hausse significative de la demande de métaux. Le meilleur recyclage des métaux est loin de parvenir à répondre à cette demande supplémentaire. Elle se traduit donc par le besoin d’exploiter plus intensément les mines existantes et d’en ouvrir de nouvelles, avec les nombreux impacts écologiques associés. Elle contribue à épuiser plus rapidement les réserves terrestres et à accroître le prix des métaux, compliquant les autres usages de ces métaux.
Parmi les métaux utilisés, un type particulier joue un rôle crucial dans le numérique : les “terres rares” (germanium, néodyme, lanthane, etc.). Celles-ci possèdent des propriétés optiques, magnétiques et de conductivité électrique spécifiques qui les rendent quasi indispensables dans le développement d’équipements toujours plus performants et miniaturisés.
La consommation de plus en plus importante de “terres rares” par le numérique pose d’ailleurs 2 problèmes spécifiques :
un risque géopolitique, car la Chine assure actuellement à elle seule plus de 70 % de la production mondiale de “terres rares” (source : USGS, 2019) ;
une concurrence avec les autres usages des “terres rares”, car celles-ci ont également des applications dans le domaine énergétique (production d’énergie solaire et éolienne, stockage de l’énergie). La transformation numérique peut donc ici nuire à la transition énergétique.
Le Green IT pour prévenir et réduire les impacts écologiques du numérique
Nous venons de brosser un tableau relativement sombre, mais réaliste, des impacts écologiques (et sociaux) du numérique : derrière une image d’immatérialité, le numérique est profondément matériel et son évolution actuelle est incompatible avec la résolution des problèmes écologiques.
Sans nier les vertus de ce que peut nous apporter le numérique (production et partage facilités de connaissances, capacités accrues de communication, utilisation plus fine des ressources naturelles, etc.), cela nous invite cependant à repenser la place du numérique dans notre société. L’enjeu principal est d’utiliser finement et intelligemment le numérique pour qu’il ait un véritable intérêt écologique.
Le Green IT s’inscrit dans une philosophie de sobriété numérique, qui est “une capacité individuelle et collective à interroger l’utilité sociale et économique de nos comportements d’achat et de consommation d’objets et de services numériques”. On peut également dire qu’il constitue le volet écologique du numérique responsable, une approche qui s’intéresse simultanément aux impacts écologiques et sociaux du numérique.
En résumé
Le numérique a de multiples impacts sur notre environnement naturel : consommation d’énergie, émission de gaz à effet de serre, épuisement des ressources, pollution de l’air, de l’eau et des sols.
Ces impacts croissent fortement en raison principalement de 2 facteurs :
la multiplication des équipements ;
l’explosion du volume de données échangées.
Cette situation n’est pas soutenable et rend à l’heure actuelle le numérique incompatible avec la transition écologique.
Le Green IT est une approche du numérique qui vise à prévenir et réduire ses impacts écologiques pour le rendre compatible avec la transition écologique.
Dans le chapitre suivant, nous allons voir ensemble une première manière de rendre le numérique plus écologique. À tout de suite !