Dans le chapitre précédent, nous avons vu ensemble comment réduire l’impact écologique d’un SI. Cette approche du Green IT s’intéresse au fonctionnement interne de l’entreprise sans prendre en compte directement les produits ou services proposés par l’entreprise. On la nomme “approche processus”.
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à une autre approche du Green IT, complémentaire à celle-ci : “l’approche produit”. Cette approche consiste à réduire l’impact écologique des matériels, logiciels ou services numériques. Elle s’adresse donc uniquement aux entreprises qui en proposent. Nous allons nous concentrer ici sur le cas des services numériques.
Principes généraux de l’écoconception de services numériques
L’écoconception consiste à intégrer dès la phase de conception la prise en compte des impacts écologiques d’un produit tout au long de sa vie. Il s’agit d’une démarche multicritère et multiétape, c’est-à-dire qu’elle porte sur plusieurs types d’impacts écologiques (consommation énergétique, contribution au changement climatique, à la raréfaction des ressources, à l’érosion de la biodiversité, pollution de l’eau, etc.) et sur plusieurs étapes de la vie d’un produit.
Elle repose sur la méthode de l’analyse du cycle de vie (ACV) que nous avons présentée dans le chapitre 1 pour étudier les impacts écologiques d’un smartphone. Pour rappel, une ACV consiste à mesurer l’ensemble des effets quantifiables d’un bien ou d’un service sur notre environnement naturel durant les différentes étapes de son cycle de vie. Dans une ACV, on s’intéresse généralement aux 5 étapes suivantes :
Extraction des matières premières
Fabrication
Distribution
Utilisation
Fin de vie
Méthode multicritère et multiétape, l’ACV permet donc de :
identifier les étapes les plus impactantes ;
identifier les impacts et leur importance à chaque phase ;
anticiper et éviter les transferts d’impact.
Pour pouvoir quantifier les impacts écologiques, on définit une « unité fonctionnelle », c’est un niveau de performance attendu pour un usage déterminé. Elle sert de base de calcul pour chiffrer les impacts écologiques à la modélisation et permet de comparer différents produits sur une même base. Par exemple, pour effectuer l’ACV d’une lampe, l’unité fonctionnelle pourra être « éclairer avec une luminosité de 60 W pendant 1 000 h ». Pour celle d’un webmail, cela pourra être « envoyer un e-mail pesant 500 ko à 10 personnes ».
Écoconcevoir un service nécessite de prendre en compte les différents “tiers” physiques (terminaux, réseaux télécom, data center) et de mobiliser simultanément plusieurs leviers d’optimisation :
l’usage et les fonctionnalités ;
les équipements matériels et infrastructures (permettant de stocker, traiter, lire et afficher les données nécessaires pour remplir les fonctionnalités) ;
les logiciels (du firmware jusqu’à l’interface utilisateur) ;
la communication avec les parties prenantes (nécessaire pour le recueil des informations et l’identification des pistes de réduction d’impacts, elle permet aussi de valoriser la démarche et d’orienter le choix des clients, par exemple).
Bénéfices de l’écoconception de services numériques
Dans le chapitre précédent, nous avons abordé ensemble 3 types de motivations pour s’engager dans une démarche Green IT :
motivations financières (gains économiques à court terme) ;
motivations stratégiques (pérennité et développement de l’entreprise à moyen/long terme) ;
motivations éthiques (redevabilité envers la nature et la société).
Si le premier bénéfice de l’écoconception de services numériques est de réduire l’impact écologique de ces services, elle répond également à ces trois motivations. En effet, elle peut permettre de :
réduire le coût de conception du service (motivation financière) ;
réduire le coût de fonctionnement du service (motivation financière) ;
améliorer l’expérience utilisateur et la qualité du service rendu (motivation stratégique) ;
élargir le public cible du service (motivation stratégique), notamment lorsqu’elle est couplée à une démarche d’accessibilité numérique ;
expérimenter des modèles d’affaires plus vertueux pour l’environnement, tels que l’économie circulaire et l’économie de la fonctionnalité (motivation stratégique) ;
renforcer les relations entre votre entreprise et ses fournisseurs par un échange accru d’informations et le développement de nouveaux produits (motivation stratégique) ;
renforcer la mobilisation des salariés grâce à une démarche porteuse de sens (motivation stratégique) ;
contribuer à l’effort général de résolution des problèmes écologiques (motivation éthique).
Mettez en œuvre l’écoconception de services numériques
Plusieurs méthodes coexistent pour mettre en œuvre l’écoconception de services numériques. Nous allons étudier ici une méthode basée sur celle proposée par l’AGIT. Elle comporte 4 phases qui se décomposent en 9 étapes :
Phase A : structuration du projet
Étape 1 : Initier
Étape 2 : Porter
Étape 3 : Mobiliser
Phase B : identification des impacts
Étape 4 : Évaluer
Étape 5 : Analyser
Phase C : réduction des impacts
Étape 6 : Imaginer
Étape 7 : Réaliser
Phase D : partage des résultats (reporting)
Étape 8 : Vérifier
Étape 9 : Communiquer
Passons en revue l’ensemble de ce processus pour mieux le comprendre.
Phase A : structurez le projet
Durant cette phase, il s’agit de poser les bases de la démarche d’écoconception en comprenant dans quel contexte elle se situe. Il s’agit également de lui trouver un porteur et de rassembler les différents acteurs internes et externes nécessaires pour la mener à bien.
Initiez
Cette première étape consiste à circonscrire le sujet en se posant les questions suivantes :
Quel est le service numérique sur lequel nous allons travailler ?
Quels sont les objectifs stratégiques de l’entreprise ?
Quelles sont les motivations de l’entreprise pour l’écoconception ? Quelles sont ses attentes prioritaires sur le sujet ?
Par exemple : réduction des coûts, diversification du portefeuille produit, lancement d’un nouveau produit, amélioration d’un produit existant, etc.
Quels sont les objectifs de la démarche ?
Par exemple : mettre l’accent sur un impact ou une étape du cycle de vie.
De quelles ressources humaines, techniques et financières peut-on disposer pour mener l’écoconception ?
Portez
Cette deuxième étape consiste à identifier à la fois un sponsor pour le projet et le/la ou les chef.fe.s de projet chargé.e.s de le mener à bien. Il s’agit d’identifier des personnes disponibles possédant une appétence pour le sujet et les compétences nécessaires.
Suivant la priorité stratégique du projet, le degré de technicité et la culture RSE de l’entreprise, il peut être décidé de déléguer une partie de l’écoconception à un prestataire externe ou au contraire de la réaliser entièrement en interne. Le rôle du/de la chef.fe de projet et les compétences associées seront alors différentes.
Mobilisez
Cette troisième étape consiste à identifier les acteurs internes et externes à associer au projet. Il s’agit notamment de ceux qui pourront nous fournir les caractéristiques précises des équipements (fournisseurs, fabricants, importateurs) ou nous renseigner sur la faisabilité de certaines pistes d’amélioration (ingénieurs R&D, service marketing, clients, etc.).
Phase B : identifiez les impacts
À la suite de la phase A, nous avons désormais un projet clairement défini soutenu par un sponsor et coordonné par une ou plusieurs personnes clairement identifiées. Nous savons également de quels acteurs internes et externes nous aurons besoin pour le mettre en œuvre.
Durant la phase B, il s’agit de définir précisément le service numérique pour pouvoir modéliser ses impacts écologiques et mieux comprendre quels sont les plus importants.
Évaluez
Cette quatrième étape consiste à décrire dans le détail le service numérique :
Quelle est sa fonctionnalité ? (ou ses fonctionnalités, si elles sont multiples)
Sur quels équipements, infrastructures, logiciels et éventuels autres services repose-t-il ?
Quel cas d’usage est considéré dans la démarche d’écoconception ?
Ces questionnements permettent de définir l’unité fonctionnelle de l’ACV, puis d’établir le cycle de vie du service et de quantifier les impacts environnementaux.
Analysez
Cette cinquième étape consiste à analyser les résultats de l’évaluation pour déterminer où se situent les impacts principaux et les marges de manœuvre les plus importantes. Il s’agit d’étudier sur quelle(s) étape(s) du cycle de vie, quels “tiers” physiques et quels impacts agir en priorité.
Phase C : réduisez les impacts
À la suite de la phase B, nous savons désormais à combien s’élèvent les impacts écologiques de notre service et les étapes du cycle, ainsi que les impacts, sur lesquels nous devons agir en priorité.
Durant la phase C, il s’agit de recenser un maximum de pistes d’amélioration, de retenir les plus pertinentes suivant les objectifs définis en phase A, puis de les mettre en œuvre.
Imaginez
Cette sixième étape consiste à faire émerger des pistes d’amélioration pour réduire les impacts écologiques du service et à étudier leur faisabilité pratique. Ce travail peut s’appuyer sur des référentiels de bonnes pratiques (tels que les check-lists présentées dans le chapitre précédent et le suivant). Il peut s’effectuer avec le soutien d’un ou de plusieurs consultants spécialisés et lors d’ateliers d’idéation réunissant des acteurs internes et externes.
Réalisez
Cette septième étape consiste à dresser la liste des pistes d’amélioration compatibles avec les attentes et objectifs formulés en phase A et de les mettre en œuvre.
Phase D : partagez les résultats (reporting)
À la suite de la phase C, nous avons désormais revu la conception de notre service numérique pour le rendre plus écologique.
Durant la phase D, il s’agit de vérifier que c’est effectivement le cas et de partager le résultat de notre démarche en interne et en externe.
Vérifiez
Cette avant-dernière étape consiste à comparer les résultats obtenus avec ceux espérés pour vérifier l’atteinte (ou non) des objectifs. Elle permet ainsi de quantifier l’amélioration finale apportée par l’écoconception (comparaison du produit initialement prévu et du produit écoconçu).
Communiquez
Cette dernière étape consiste à partager les résultats finaux de la démarche et à faire connaître le service écoconçu. Elle permet de valoriser le travail d’écoconception auprès des parties prenantes de l’entreprise. Elle permet également d’enclencher un cercle vertueux en motivant d’autres acteurs à se lancer dans une démarche similaire.
Mettez en pratique : identifiez des pistes d’amélioration
Pour mettre en pratique ce que vous avez appris dans ce chapitre, je vous propose de faire un petit projet. Vous allez travailler sur l’identification de pistes d’amélioration pour réduire l’impact écologique d’un service numérique. C’est parti !
Reprenons le contexte du chapitre précédent : vous travaillez toujours pour la même entreprise du secteur textile. Votre entreprise souhaite se différencier de ses concurrents en développant un prototype de chaussette connectée destinée aux coureurs à pied. Ce projet est porté par un ingénieur R&D formé à l’écoconception. L’objectif est de fournir un service numérique permettant aux coureurs de réduire les risques de blessures au pied et à la cheville.
Comme vous vous intéressez à l’écoconception de service numérique, l’ingénieur R&D vous a sollicité pour l’aider à identifier des pistes d’amélioration. Pour vous aider dans cette tâche, il vous a communiqué une synthèse des résultats de l’ACV qu’il a réalisée.
ACV du prototype de chaussette connectée |
Unité fonctionnelle : afficher et évaluer l’état de santé des pieds et chevilles du coureur durant 250 heures d’utilisation du produit (dont 200 heures en entraînement, soit une année à un rythme de 3 sessions d’une heure par semaine). Composition du service numérique : chaussette, capteur, smartphone, application mobile, réseau, data center. Impacts étudiés : épuisement des ressources, consommation d’eau et émissions de GES. Répartition des impacts : Lecture : 40 % des émissions de GES de la chaussette connectée sont liées à l’extraction des matières premières. Éléments d’explication des impacts :
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Votre mission, si vous l’acceptez
À partir des résultats de l’ACV, identifiez 3 pistes d’amélioration permettant de réduire l’impact écologique du service numérique.
En résumé
L’approche produit du Green IT consiste à réduire l’impact écologique d’un bien ou service numérique proposé par une entreprise.
L’écoconception des services numériques repose sur la méthode de l’Analyse du cycle de vie (ACV). L’ACV est une méthode holistique, c’est-à-dire qu’elle prend en compte plusieurs impacts écologiques (multicritère) et l’ensemble du cycle de vie du produit (multiétape).
Dans une ACV, on fixe une unité fonctionnelle, c’est-à-dire un niveau de performance attendu pour un usage déterminé. Cela permet notamment de modéliser les impacts écologiques du bien ou service étudié.
L’écoconception questionne la pertinence des fonctionnalités actuelles ou prévues pour répondre aux besoins des utilisateurs.
La mise en œuvre de l’écoconception de services numériques repose sur 4 phases : structuration du projet, identification des impacts, réduction des impacts, partage des résultats.
Dans le chapitre suivant, nous allons voir comment nous pouvoir rendre un site web plus écologique. À tout de suite !