L’aspect "Droit du numérique & bâtiment" a été initialement traité par le rapport Pican de 2016 réalisé sur commande du PTNB. Depuis, les avocats se sont emparés du sujet des implications juridiques du BIM pour répondre aux « inquiétudes » exprimées en termes de responsabilités et de propriété intellectuelle. De plus, deux avocates spécialisées, Anne-Marie Belllanger et Amélie Blandin, ont défini dans un livre intitulé Le BIM sous l'angle du droit : Pratiques contractuelles et responsabilités, les bonnes pratiques à mettre en place suivant les phases d’un projet pour rédiger les documents contractuels. Nous reprendrons les principaux éléments définis dans ce livre pour lever tous les freins du juridique dans le BIM.
La question des responsabilités
La principale crainte des différents professionnels du secteur est de devoir endosser la responsabilité des erreurs des autres constructeurs, notamment pour les aspects techniques des échanges de données qu'ils ne maîtrisent pas.
Le BIM joue bien son rôle en assurant la traçabilité des échanges de données et en facilitant l'imputabilité des erreurs de saisie ou d'effacement de données. De plus, les experts du droit insistent sur le fait que des circuits de validation des modifications existent.
Toute la question est de savoir si la faute incombe à celui qui donne le fichier erroné ou à celui qui le traite sans voir que l'erreur existait déjà, hors BIM. Si les cas les plus complexes peuvent effectivement mener à une expertise pour déterminer s'il s'agit d'un problème technique indépendant, la plupart des erreurs ne suscitent pas de désordres de gravité décennale, n'entraînant alors que la responsabilité civile de leur auteur.
C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de formaliser les missions de l'ensemble des intervenants à travers l'établissement d'un contrat, comme la Convention BIM qui peut être contractuelle si elle est signée par toute les parties prenantes.
La responsabilité est maîtrisable à partir du moment où l'on écrit les choses ! Par ailleurs, la traçabilité permise par le processus BIM atteste, avec plus de fiabilité qu'un document contractuel, des interventions et donc de la responsabilité de chacun.
Les spécialistes recommandent de porter une attention particulière à la rédaction des différents contrats spécifiques : cahier des charges BIM du maître d'ouvrage, convention BIM entre les différents utilisateurs, contrat entre l'éditeur du logiciel BIM et les utilisateurs, contrat relatif au stockage des données…
La question de la propriété intellectuelle
Plusieurs intervenants étant impliqués dans le processus du BIM, l’une des difficultés qui se posent est de savoir qui peut être considéré comme « auteur » de l’œuvre qui en résulte.
L’autre difficulté est liée au fait que la mise en commun des informations sur une base de données librement accessible à tous les intervenants peut se heurter à la réglementation en matière de protection des données personnelles et aux droits de propriété intellectuelle.
La protection par le droit d’auteur de l’œuvre résultant du BIM
Le droit d’auteur protège les œuvres générées pendant le processus de conception (le bâtiment final, mais également la maquette numérique, le logiciel, les plans) dès lors qu’il est possible de prouver leur caractère original (article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI)). Ce droit d’auteur confère à la fois un droit moral et un droit patrimonial, c’est-à-dire d’exploitation.
Par principe, la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée (article L.113-1 CPI). Cependant, plusieurs régimes de protection pourraient s’appliquer en présence d’une multiplicité de contributeurs, comme dans le cas du processus BIM :
L’œuvre pourrait être considérée comme une œuvre de collaboration, définie comme « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (article L.113-2 alinéa 1er du CPI). Toute personne qui apporte la preuve de sa collaboration est investie des droits d’auteur, ce qui signifie que l’exploitation de l’œuvre dépend du commun accord des co-auteurs. Le BIM de niveau 3 pourrait être qualifié d’œuvre de collaboration ;
L’œuvre pourrait être considérée comme une œuvre composite. Elle est définie comme « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » (article L.113-2 alinéa 2 du CPI). C’est notamment le cas du BIM de niveau 2. L’œuvre créée par un premier intervenant est incorporée dans l’œuvre créée par un deuxième intervenant. Le dernier intervenant sera considéré comme auteur de l’œuvre dans sa globalité, même si les autres contributeurs demeurent auteurs de leurs contributions prises individuellement ;
Enfin, l’œuvre peut être considérée comme une œuvre collective, c’est-à-dire que « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé » (article L. 113-2 alinéa 3 du CPI). Il s’agit du cas où une personne, physique ou morale, coordonne chaque intervention. Cette personne sera investie, dès le départ, des droits d’auteur. Dans ce cas, une seule personne a la qualité d’auteur, ce qui rend l’exploitation de l’œuvre plus aisée à gérer car elle ne sera pas soumise à l’accord d’une multiplicité de personnes.
Le traitement des données
Les données mises en commun dans le cadre du processus BIM, notamment en ce qui concerne les niveaux 2 et 3, pourraient être facilement exportables, ce qui soulève de nombreuses difficultés.
Ces données sont catégorisées en données personnelles et en données non personnelles :
Le traitement des données personnelles est soumis à la loi « Informatique et libertés » n° 78-17 du 6 janvier 1978. Cette loi définit les données personnelles comme les données qui permettent « d’identifier directement ou indirectement une personne physique ».
Les articles 22 et suivants de cette loi prévoient que l’utilisation des données personnelles doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) précisant la finalité, la durée, les conditions d’utilisation ainsi que les noms des personnes ayant accès aux données. Par ailleurs, les personnes sujettes à la collecte et au traitement doivent en être informées par le responsable du traitement. En matière de BIM, les informations à fournir ne sont pas nécessairement connues au moment de la déclaration. Il est donc utile de préciser à la CNIL, dès le départ, que certains renseignements dépendront de l’évolution du projet. Toute infraction à ces dispositions est sanctionnée pénalement par une amende de 300 000 euros et/ou une peine d’emprisonnement de 5 ans (article L. 226-17 du Code pénal). C’est pour cette raison qu’il est important de prendre toute précaution utile à garantir la sécurité des fichiers ;
Les données non personnelles, elles, peuvent faire l’objet, dans certains cas, d’une protection par les droits de propriété intellectuelle. Tout d’abord, les bases de données font l’objet d’une protection découlant de la directive européenne n° 96/09 du 11 mars 1996, transposée en droit français par l’article L. 341-1 du CPI. Le producteur d’une base de données bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsqu’il peut attester d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Dès lors que cet investissement important est démontré, le producteur d’une base de données peut s’opposer à son utilisation non autorisée. Par ailleurs, les données mises en commun peuvent donner lieu à un procédé technique. Dans ce cas, il est possible de déposer un brevet, qui sera accordé lorsque le procédé technique est une invention nouvelle impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle (article L. 611-10 du CPI). Enfin, les données peuvent constituer des dessins et modèles, qui seront protégés lorsqu’ils présentent un caractère propre et nouveau (article L. 511-2 du CPI). Ainsi, lorsque les données sont protégées au titre des droits de propriété intellectuelle, les titulaires de tels droits pourront s’opposer à une diffusion non autorisée des données. L’utilisation du BIM soulève à ce jour de nombreuses interrogations juridiques plus qu’il n’apporte de réponses. Les premiers retours d’expériences permettront de cerner plus précisément les problématiques éventuelles liées à l’utilisation du BIM.
L’usage d’un BIM imposera donc au maître de l’ouvrage, ou au maître d’œuvre chargé d’un contrat de maîtrise d’œuvre de conception, de prévoir contractuellement le régime des cessions de droit d’auteur nécessaires à son activité. Il devra prendre en compte l’ensemble des résultats générés en plus des données et des logiciels afférents. Une révolution ? Non. Les contrats de maîtrise d’œuvre intègrent d’ores et déjà les clauses de cession de droits utiles à l’exécution du projet, de même que le CCAG-PI. Néanmoins, afin de prévoir tout risque ultérieur de contestation et de requalification, une traçabilité des différentes interventions devrait être instituée, permettant de suivre l’historique des différents apports et de garantir le respect des titulaires de droits.
D’après l’article L. 113-1 du Code de propriété intellectuelle, “la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée”.
Cependant, de multiples acteurs interviennent dans le BIM et pourraient, à ce titre, revendiquer des droits d’auteur sur la maquette numérique. Aucun texte spécifique relatif au BIM n’a été prévu. Il serait donc judicieux de prévoir contractuellement quels acteurs pourront revendiquer des droits d’auteur sur leur œuvre. Si aucun régime n’est prévu contractuellement, les régimes de droit commun pourront s’appliquer.
Les différents documents BIM
Qu'est-ce qui peut garantir aux acteurs de la construction le respect de leurs droits dans le cadre du BIM ? Le protocole BIM – ou convention BIM - permet d'organiser précisément les conditions dans lesquelles chacun va travailler : il garantit le respect des droits et l'organisation des conditions de travail de chacun. C’est un document fondamental de management de projet. La répartition des missions des différents acteurs et prestataires se retrouve, elle, dans le contrat qui reste la clé juridique du BIM : ce qui est aussi confirmé par la loi MOP vue dans le chapitre 1.
Pour rappel :
En résumé
L'environnement juridique et légal n'inclut pas encore totalement les notions de BIM au sens travail collaboratif du terme. C'est pour cela qu'il est important de bien définir les rôles et missions de chaque contributeur au sein de la convention BIM sur un projet, afin d'encadrer les responsabilités de chacun.