Revenons sur l’exercice que vous venez de réaliser. Vous avez répondu 0,10 $ au lieu de 0,05 $ ? Rassurez-vous, les étudiants les plus brillants se sont trompés eux aussi !
Mais que s’est-il passé dans mon cerveau ? 😱
Selon Daniel Kahneman, vous avez privilégié votre intuition à un effort de logique (plus chronophage et énergivore), aboutissant à une réponse rapide, automatique mais erronée !
En d’autres termes, vous avez mobilisé une “heuristique de jugement” !
Dans le cadre de l’exercice, vous avez donc plutôt utilisé votre système de pensée intuitif.
Nous passons notre temps à utiliser des heuristiques de jugement dans notre vie quotidienne. La plupart du temps, ces heuristiques sont très pratiques : elles nous aident à décider rapidement et efficacement. Mais parfois, elles génèrent des distorsions qui nous induisent en erreur. Dans ce cas, on les appelle alors “biais cognitifs”.
Camille Rozier, docteure en neurosciences, nous en dit plus dans son interview :
Identifiez vos deux systèmes de pensée
Que se passe-t-il dans mon cerveau lorsque je décide ? Qu’est-ce qui me guide ?
Selon le modèle proposé par Daniel Kahneman pour expliquer comment nous réfléchissons, votre esprit est régi par deux entités. Dans son livre “Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée”, le psychologue formalise une brillante théorie : nous aurions deux façons de penser qui influencent notre prise de décision. Notre cerveau fonctionne à double vitesse ! Bien sûr, cette théorie n’est pas à prendre au pied de la lettre : il n’existe pas de commutateur dans le cerveau qui nous ferait passer d’un système à l’autre… Mais ce modèle est très utile pour représenter avec simplicité la façon dont notre raisonnement et notre prise de décision fonctionnent.
Le système 1 nous permet de prendre des décisions rapides. C’est un système de pensée :
| Le système 2 nous permet de réfléchir, d’analyser méthodiquement pour décider. C’est un système de pensée :
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Prenons une situation très concrète : vous voulez faire appel à un prestataire extérieur pour créer le site Internet de votre nouvelle start-up. Pour faire votre choix, vous pourriez :
Appeler deux prestataires possibles et arrêter votre choix sur l’interlocuteur avec lequel vous avez le meilleur feeling. Vous vous appuyez alors sur votre système 1, intuitif et rapide.
Vous mettre en relation avec des clients ayant fait faire leur site par les prestataires contactés, et leur demander des informations et leur avis. Vous mobilisez alors votre système 2, analytique et lent.
OK… mais à quel moment faut-il mobiliser quel système de pensée ? 🤔
Les deux systèmes de pensée sont complémentaires : il ne s’agit pas de les opposer ! Mais selon la nature de la décision à prendre, vous aurez tendance à mobiliser plutôt l’un que l’autre.
Quand les enjeux sont faibles et qu’il n’y a aucune incidence sur votre vie, vous aurez plutôt tendance à utiliser votre système 1, sans même vous en rendre compte :
Ketchup ou beurre dans mes spaghettis ?
Chemise rose ou chemise blanche ?
Sorbet pêche ou sorbet citron ?
Baskets ou talons de 12 ?
Quand votre vie, votre « business » ou votre trajectoire en dépendent, vous choisissez généralement plutôt d’analyser en détail la situation, et préférez faire appel au système 2 :
faire un business plan ;
accepter un poste de manager à l’étranger ou rester en France ;
se réorienter ou garder son cap ;
activer son réseau ou travailler en sous-marin.
Découvrez pourquoi raison et intuition sont complémentaires
D’après vous, un robot doté d’une intelligence artificielle prend-il de meilleures décisions que le plus compétent des contributeurs de l’entreprise ? 🤔
S’il s’agit d’un contexte sans incertitude et sans risque, la réponse est certainement oui : le robot analyse probablement plus rapidement que l’être humain.
Mais s’il s’agit d’un contexte complexe et incertain, probablement pas ! Il manque alors au robot :
l’expérience ;
l’apprentissage par l'erreur ;
une intelligence émotionnelle, de l’empathie ;
des considérations éthiques.
Pour décider, il faut aussi des compétences humaines – ou soft skills – et une capacité à faire appel à son intuition et à ses émotions.
Développez votre intuition
Beaucoup de chefs d’entreprises avouent décider avec leur intuition. Frédéric Mazzela, à l’origine de Blablacar, évoque sa réussite en faisant la part belle à son intuition, et parle même d’un “aha! moment” comme d'“un flash qui a duré 72 heures” pour l’aider à créer son concept en 2006.
Chacun d’entre nous possède ce 6 ͤ sens, ou cet instinct qui nous fait choisir les bons plans.
En d’autres termes, il s’agit de faire appel à vos souvenirs et à votre expérience. Par exemple, en détectant des situations similaires que vous avez déjà vécues, et en tirant des déductions sur la base de votre expérience.
L’intuition, c’est un peu comme un muscle : elle a besoin d’entraînement. Si vous êtes très rationnel, vous vous méfiez de cette petite voix intérieure que vous mettez régulièrement sur off. Or, elle peut parfois être bonne conseillère… surtout dans les situations de forte incertitude !
Votre intuition, vous la développerez en mettant au repos votre machine à penser pour écouter ce qui se passe en vous, et vous concentrer sur l’ici et maintenant. Votre intuition vous chuchote à l’oreille, à vous de l’écouter…
À vous de jouer !
Pour développer votre intuition, je vous invite à vous plonger dans les techniques de méditation de pleine conscience. La méditation mindfulness est une technique de méditation consistant à se concentrer sur l’ici et maintenant. Elle permet de réduire le stress, l’anxiété, et participe au bien-être en permettant de vivre plus intensément le moment présent. Vous vous dites peut-être : “Quel rapport avec la prise de décision ?”. Eh bien sachez qu’en méditant, vous développez votre capacité à écouter davantage vos ressentis et à vous faire confiance.
Voici une traduction de l’un des exercices qu’il propose : la méditation dite « du raisin sec », que je vous invite à réaliser.
Prenez un seul grain de raisin et placez-le sur la paume de votre main.
Sentez le poids et la structure de celui-ci sur votre main. Prenez conscience de sa température.
Regardez-le attentivement, comme si vous n’aviez jamais rien vu de tel auparavant. Utilisez vos yeux pour explorer chaque partie du grain de raisin, sa forme et sa texture, ses creux et crêtes, ses couleurs, et la façon dont la lumière tombe sur lui.
Touchez-le, explorez sa texture avec vos doigts, éventuellement avec les yeux fermés. Prenez-le doucement avec l’autre main, afin de sentir sa forme, son poids.
Placez-le sous votre nez, en explorant son arôme et en étant conscient de toutes les sensations qu’il pourrait produire dans votre bouche ou votre estomac.
Apportez le raisin à la bouche, en remarquant les mouvements précis de la main et du bras. Placez-le dans votre bouche et, sans le mâcher, explorez la sensation de celui-ci dans la bouche et sur la langue.
Doucement, mordez dedans et commencez à mâcher lentement. Observez la texture du raisin, et la façon dont sa saveur est libérée. Notez que les goûts changent avec chaque bouchée. Continuez à mâcher, lentement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à mâcher.
Soyez conscient de la sensation de vouloir avaler, puis avalez.
Sentez-vous la sensation du raisin qui glisse dans la gorge et dans l’estomac ?
Demandez-vous comment votre corps se sent, maintenant que vous avez terminé l’exercice. De quoi devenez-vous conscient – que vous n’auriez pas remarqué avant ?
En résumé
Dans ce chapitre, vous avez découvert que :
votre cerveau marche avec deux vitesses : la pensée analytique, lente, et la pensée intuitive, rapide ;
vous pouvez passer du système 1 au système 2 pour une meilleure décision ;
votre intuition est alimentée par votre expertise et par une banque de données remplie d’informations et d’expériences.
Vous l’avez remarqué, nous avons beaucoup parlé de la raison, et des intuitions… mais pas encore des émotions, qui pourtant affectent directement nos prises de décisions ! C’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.