Les deux premières parties vous ont permis de maîtriser certains des outils juridiques facilitant la structuration de votre projet informatique : ce sont les aspects du droit pour structurer et organiser votre projet.
Parallèlement, votre projet se construit dans un environnement qui est lui aussi porteur de règles, qui est lui aussi organisé : ces normes font donc partie du contexte et ne peuvent être ignorées.
Identifiez les types de responsabilité
La responsabilité délictuelle ou civile
Les principes généraux de la responsabilité civile sont les suivants :
il faut un fait générateur, et seule une faute engage votre responsabilité. Il existe de rares hypothèses de responsabilité sans faute, par exemple le fabricant d’un produit défectueux est responsable des dommages causés par l’objet sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une faute ;
il faut un dommage certain et actuel ;
il faut un lien de causalité entre l’acte fautif et le dommage.
L’internet rend possible nombre d’abus : contenus illicites, atteinte aux droits de propriété intellectuelle, diffamation, escroquerie… La responsabilité doit s’analyser activité par activité (on parle de qualification distributive par activité) : il en résulte que certaines activités vont entrainer une responsabilité alors que d’autres non.
La responsabilité contractuelle ou inexécution contractuelle
La responsabilité délictuelle se distingue radicalement de la responsabilité contractuelle : dans ce cas, vous êtes responsable dans les termes de votre contrat seulement, et notamment vous bénéficiez des clauses qui limitent ou étendent votre obligation à réparation.
Selon la nature de l’obligation (contrat) que vous souscrivez, la preuve de votre responsabilité en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution est plus ou moins facile.
Si votre obligation est de moyen, vous vous engagez à faire tout votre possible pour atteindre un résultat. On doit prouver que vous n'avez pas fait suffisamment d’efforts.
Si votre obligation est de résultat, vous avez promis un résultat sans aucun aléa, et il suffit de démontrer que le résultat n’est pas atteint pour que votre responsabilité soit engagée.
La grande différence de régime juridique avec la responsabilité délictuelle, c'est que :
la responsabilité contractuelle ne vous oblige qu’à réparer le dommage prévisible ;
vous pouvez prévoir des clauses sur la responsabilité (la limitant, l’écartant ou l’étendant).
Un dernier point à envisager concerne la responsabilité pénale. Nous verrons celle-ci au chapitre suivant, en traitant de la cybercriminalité.
Anticipez les conséquences de l'inexécution contractuelle
Concernant les conséquences d'une inexécution contractuelle, il n'y a pas de véritable spécificité en matière informatique : les principes généraux s'appliquent.
Les moyens d'action en cas d'inexécution contractuelle
Lorsqu'une obligation n'a pas été exécutée ou n'a été que partiellement ou imparfaitement exécutée, la partie au contrat qui est ainsi lésée dispose de différents moyens d'action.
Refuser d'exécuter sa propre obligation ou suspendre l'exécution de sa propre obligation. C'est ce que l'on nomme "exception d'inexécution" car la loi permet alors d'opposer une exception à l'obligation d'exécuter.
Demander l'exécution forcée en nature. Cela suppose que cette exécution forcée en nature soit exigée : il faut mettre en demeure celui qui doit l'obligation. Il faut que l'exécution soit possible, et ne soit pas déraisonnable. Le caractère déraisonnable correspond à une "disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier" .
Solliciter une réduction du prix. Dans l'hypothèse d'une inexécution partielle, celui qui ne reçoit pas l'intégralité de la prestation peut solliciter une réduction proportionnelle du prix. Si cette réduction est refusée, ce sera au juge de trancher ce point.
Demander la résolution (la fin) du contrat. Il peut être mis fin au contrat en application d'une clause dite résolutoire, ce qui suppose que vous avez prévu cela dans le contrat ("il sera mis fin au contrat si tel ou tel événement se réalise"), en cas d'inexécution suffisamment grave, par une notification à celui qui devait exécuter ou par décision du juge.
Demander la réparation des conséquences de l'inexécution. Il s'agit ici de demander des dommages et intérêts qui viennent compenser en valeur l'inexécution (on ne demande alors pas une exécution forcée en nature, mais une compensation). Ces dommages et intérêts peuvent être dus en cas de simple retard dans l'exécution. On ne peut être tenu que des seuls dommages et intérêts prévisibles au contrat.
La force majeure
Dans une telle hypothèse, l'inexécution n'entraîne aucune obligation de réparation.
Un exemple, théorique, pourrait être le suivant : vous vous engagez à réaliser une plateforme d'échange de crypto-monnaies, mais après avoir conclu le contrat, les autorités publiques interdisent de telles plateformes. Il vous serait impossible de poursuivre l'exécution du contrat, sans que cela puisse vous être reproché.
Ce serait plus discutable si, à l'époque de la conclusion du contrat, les autorités publiques avaient annoncé envisager d'interdire de telles plateformes car alors ce ne serait plus un "événement (qui) ne pouvait être raisonnablement prévu". Dans ce cas, la gestion du risque juridique consiste par exemple à prévoir une clause spécifique dans le contrat.
L'annulation, la résolution et la résiliation d'un contrat
L'annulation (nullité du contrat) intervient lorsqu'un élément de validité du contrat fait défaut (le consentement n'est pas valable, une condition de forme n'a pas été respectée...). On considère alors que le contrat n'a jamais existé, puisque dès l'origine, le rapport juridique est vicié.
À l'inverse, une résolution ou une résiliation anéantit un contrat qui aura été valablement formé, et qui parfois aura été partiellement exécuté.
On en tire deux conséquences :
Si la résolution est normalement rétroactive, elle laisse subsister les clauses qui ont été spécialement prévues en cas de résolution ou dont l'intérêt est de survivre à une résolution, par exemple une clause prévoyant les modalités des restitutions ou un mode de règlement du litige, ou encore une clause de confidentialité.
En revanche, la résiliation est un anéantissement pour l'avenir, et sans effet rétroactif. Par exemple, un bail résilié ne remet pas en cause l'occupation passée, mais uniquement pour l'avenir.
La réparation du préjudice
Très souvent, l'inexécution du contrat entraîne un préjudice. Il faut alors procéder à des restitutions en conséquence de son anéantissement (une vente anéantie entraîne la restitution de l'objet vendu et du prix versé, par exemple), et parfois payer des dommages et intérêts. Leur fonction est de réparer (compenser), monétairement, le préjudice subi.
Aussi la loi prévoit-elle que "le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure" (art. 1231-1 code civil).
Cette limitation disparaît si le préjudice résulte d'une inexécution laquelle est la conséquence d'une faute lourde ou dolosive (volontaire) de la part de celui qui devait exécuter.
D'où la pratique (et l'intérêt) des clauses :
des clauses qui encadrent les dommages et intérêts, en encadrant leur montant ;
des clauses qui prévoient des forfaits (un certain montant par jour de retard) de dommages et intérêts dans le but d'inciter à l'exécution. Dans ce cas, on parle de clause pénale.
Anticipez les conséquences de la responsabilité délictuelle
Le principe légal est sans ambiguïté : "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer" (art. 1240 code civil).
Il y a donc deux conditions suffisantes et nécessaires pour engager la responsabilité d'une personne pour son fait personnel :
un fait dommageable,
un fait fautif.
Attention, encore faut-il bien isoler le fait en question : si vous concluez un contrat pour former une personne à un langage informatique et qu'au cours de la formation, énervé, vous la giflez... cet acte n'a rien à voir avec le contrat, donc c'est la responsabilité délictuelle qui s'appliquera.
Toute activité liée aux réseaux est potentiellement source d'une responsabilité qui est régie par trois grandes catégories, auxquelles s'ajoutent des textes spéciaux, et dont l'application varie selon la nature de l'activité exercée.
Schématiquement, il vous faut donc retenir les trois éléments suivants :
La responsabilité civile est attachée à la commission d'une faute qui crée un préjudice.
La responsabilité pénale consiste à commettre une infraction spécifiquement prévu par un texte répressif. L'essentiel des textes répressifs se trouvent dans le code pénal.
Enfin, le régime spécifique des infractions de presse s'appliquent à l'internet et concernent les fournisseurs de contenus, professionnels ou amateurs.
Voici une synthèse d'ensemble qui distingue les cas d'irresponsabilité et les cas de responsabilité sous conditions (c'est une première grille de lecture), et en distinguant les fournisseurs de contenus et les opérateurs techniques (c'est une seconde grille de lecture).
| Responsabilité sous condition | Responsabilité de droit commun | Infractions de presse |
Intermédiaires techniques |
|
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|
Opérateurs de communication électronique | X |
|
|
Fournisseurs de services techniques | X |
|
|
Fournisseurs de contenu |
|
|
|
Moteurs de recherche |
| X |
|
Courtage commercial (eBay, Le Boncoin...) |
| X |
|
Services noms de domaine (vente aux enchères, parking) |
| X |
|
Sites des professionnels de l'information (journaux, tv, radio) |
| X | X |
Sites amateurs (blog, vidéos...) |
| X | X |
Vous connaissez désormais votre responsabilité sur le plan délictuel et contractuel. Voyons désormais les obligations liées à la lutte contre la cybercriminalité.