Dans ce chapitre, vous allez découvrir comment faire en sorte que vos entretiens soient efficaces.
Bien aborder l’entretien
Prenons un (mauvais) exemple :
“Allô, Monsieur Lemerle ? Oui, c’est Fabien M. Je souhaite fixer un rendez-vous avec vous pour l’audit. Je vous propose jeudi prochain à 8h30 dans mon bureau. C’est OK pour vous ? Très bien, à jeudi, 8h30 !”
Voici typiquement une mauvaise manière d’aborder l’entretien. Pourquoi ? Parce que dans cet exemple, seul l’aspect logistique est géré et plusieurs choix peuvent contrevenir à l’atteinte des objectifs de collecte d’informations.
Analysons ce bref échange. Quels en sont les écueils ?
L’auditeur ne rappelle pas son rôle. Or, qu’il soit interne ou externe, son interlocuteur doit pouvoir le situer.
L’audit n’est à peine cité : il aurait été souhaitable au minimum de préciser sur quoi portait l’audit, au mieux ses objectifs.
Le lieu est fixé sans avis de l’audité. Dans un entretien, il est utile que l’audité puisse fournir des documents ou au minimum montrer certaines informations… Ce qui parfois ne peut se faire que depuis son poste de travail. C’est d’autant plus vrai pour certaines fonctions dont l’essentiel du temps est passé sur le terrain.
Cela fait plusieurs informations à donner. Il est possible de contacter les audités par téléphone, mais si vous craignez d’oublier ou de mal traiter certaines informations, vous pouvez rédiger un mail. En voici un exemple :
Bonjour Monsieur Lemerle,
Un audit sur les processus d’achats dans la fonction formation a été commandité par le DRH. Le but de cet audit est de réduire le délai de ces processus. Dans ce cadre, j’ai été mandaté pour rencontrer les salariés, échanger avec eux et collecter les informations utiles à l’audit.
Je souhaite vous rencontrer car il me semble que vos missions concourent à l’achat de formation.
A quel moment seriez-vous disponible ? Pour plus de simplicité, je me permets de vous joindre mon planning afin que nous trouvions un créneau commun, avant la fin de la semaine prochaine si possible.
[lien planning]
Je vous propose que l’entretien se déroule dans votre bureau, sauf si vous considérez que les conditions n’y sont pas idéales (confidentialité et calme).Dans tous les cas, n’hésitez pas à me solliciter pour toute question.
Sincères salutations,
X. Y
Auditeur externe
Dans ce mail, vous auriez pu ajouter un paragraphe si vous attendiez de votre audité qu’il prépare certaines informations en particulier.
L’audit étant un exercice qui angoisse certains collaborateurs, il n‘est pas rare d’avoir des annulations ou des reports d’entretiens. C’est moins vrai lorsque vous êtes en position d’auditeur interne, surtout en position hiérarchique par rapport aux audités. Pour éviter ces annulations et reports de dernière minute, n’hésitez pas à lever les freins chez l’audité.
Par exemple, certains auditeurs envoient un rappel automatisé 24 ou 48 heures avant, idéalement avec une foire aux questions de l’entretien ou un document qui récapitule le déroulement de l’entretien. D’autres demandent simplement une confirmation. En tout cas, les annulations/reports ne sont pas neutres. Elles sont le plus souvent le marqueur d’une inquiétude ou d’une défiance par rapport à l’audit. Ne lâchez rien ! Ce sont souvent les audités que vous aurez eu du mal à rencontrer qui pourront vous apporter beaucoup d’informations.
Menez l’entretien
Un entretien d’audit n’a rien à voir avec l’image de remplissage de questionnaire que certains veulent lui faire porter.
L’auditeur mène en général un entretien semi-directif qui mobilise des techniques des sciences sociales. Ces techniques peuvent mêler psychologie de la négociation et sociologie.
Mais en pratique, comment cela fonctionne-t-il ?
En premier lieu, un entretien, c’est un échange direct. Vous, auditeur, attendez de l’entretien qu’il vous apporte plus d’informations qu’un simple questionnaire fermé… Sinon, vous pourriez administrer un questionnaire à distance, ce qui vous éviterait de consommer du temps et de vous déplacer. L’entretien va donc être riche.
Pour réussir à obtenir un entretien riche, il faut obtenir des informations qui sont liées à l’audit. Cela passe par une mise en confiance de l’audité et un cadrage sur les thèmes de l’audit.
Entame (introduction de l’entretien)
L’entretien commence donc généralement par une présentation de l’audit et de l’auditeur. La présentation de l’audit doit situer au minimum la raison pour laquelle l’audit a été demandé et l’objectif qui est fixé. Il n’est pas nécessaire de réciter toute la lettre de mission ! Concernant la présentation personnelle, certains auditeurs n’hésitent pas à donner quelques détails personnels pour créer un lien avec l’audité. A mon sens (et ce n’est là qu’une opinion), l’essentiel est d’entamer une relation “véritable”, pour laquelle les détails importent moins que les principes et la déontologie qu’on appliquera pendant l’entretien. En fait, un entretien qui démarre bien est finalement un entretien qui réussit à mettre en place une relation “gagnant-gagnant” : en tant qu’auditeur, je gagne à collecter des informations véridiques et pertinentes ; en tant qu’audité, vous gagnez à expliquer en quoi votre activité pourrait être mieux réalisée, ou simplifiée.
Collecte des informations
Ensuite, la phase d’introduction passée, l’auditeur se concentre sur la collecte des informations qui sont mentionnées dans le guide d’entretien préparé précédemment. Sur la forme, il s’agit d’un entretien semi-ouvert. Ce que cela signifie, c’est que l’auditeur commence par une question déterminée à l’avance. Cette question est ouverte, c'est-à-dire qu’elle laisse une latitude de réponse importante à l’audité. Jusqu’à la fin de l’entretien, vous aurez intérêt à prendre des notes. Vous pouvez envisager d’enregistrer la conversation, si l’audité l’accepte sans difficulté.
L’auditeur dispose d’une liste de sujets à aborder, éventuellement de questions qui peuvent servir à traiter ces sujets. Dans la pratique, le rôle de l’auditeur est de créer un premier temps de discussion qui balaye un maximum de ces sujets. Si à certains moments, l’auditeur perçoit que l’audité pourrait en dire plus, il a le choix : approfondir ces questions dans le deuxième temps ou poser tout de suite des questions plus précises. C’est notamment le cas quand un audité vous indique par exemple que “certains” font ou ne font pas quelque chose. La question factuelle revient à éviter les zones d’ombre en privilégiant les faits. Ici, vous pourriez demander “Quand vous parlez de certains, à qui pensez-vous ?” (N’oubliez pas néanmoins que l’anonymat est une règle déontologique !). "De quelles choses parlez-vous ?"
Cette technique de questionnement factuel fonctionne à plusieurs conditions :
Elle doit être précédée d’un questionnement ouvert et d’une reformulation, pour orienter la réponse de l’interlocuteur.
Elle doit être utilisée à bon escient : si l’auditeur rebondit tout de suite sur chaque imprécision de l’audité, ce dernier finira par éviter de répondre de manière factuelle ou modifier son discours pour ne pas laisser de prise à l’auditeur.
Elle ne peut fonctionner que si la phase introductive a permis d’établir une relation gagnant-gagnant.
Dans un deuxième temps de l’entretien, vous allez chercher à aborder les questions qui n’ont pas été traitées dans le premier temps ou pour lesquelles la réponse n’est pas satisfaisante. La forme de cette deuxième partie peut être plus ou moins directive, plus ou moins fermée. Cela dépend de la relation que vous aurez établie avec l’audité.
Une fois cette phase d’approfondissement réalisée, l’entretien touche à sa fin. Vous allez pouvoir conclure l’entretien par un remerciement sincère, car l’audité vous aura aidé à collecter des informations précieuses. Pour vous assurer que l’entretien est terminé, vous pourrez demander à l’audité s’il souhaite ajouter des informations sur le sujet abordé, s’il a des questions à vous poser. Vous pouvez également lui demander ce qu’il a pensé de l’entretien, même si la réponse à cette dernière question est souvent voilée par la représentation que l’audité se fait de l’audit. Elle présente un intérêt lorsque l’audité a changé de comportement en cours d’entretien.
L’ensemble des entretiens, ajoutés aux documents, tests et observations, devrait vous donner une vision suffisante, si ce n’est exhaustive des processus que vous auditez. Si ce n’était pas le cas, vous pouvez envisager de compléter les entretiens par un questionnaire écrit que vous enverrez aux audités (prioritairement ceux que vous n’avez pas pu rencontrer).
La relation entre auditeur et audité pendant l’entretien
Les caricatures de l’audité
Dans la plupart des cas, vous aurez affaire à des audités qui seront dans une logique globalement positive, tant qu’on ne touche pas trop à leur pré carré. Certains cas sortent néanmoins de ce standard et il est utile d’en connaître les caractéristiques :
l’audité modèle : il a préparé son audit, répond clairement à toutes vos questions. Soit vous avez de la chance, soit il souhaite vraiment ne pas en dire trop ! Pour vérifier cela, vous pourrez poser quelques questions précises et identifier la réaction.
l’audité angoissé : rien que votre apparition sur son lieu de travail l’a vidé de ses couleurs. Il souhaite ne pas faire d’impair, ne pas être remis en question. Identifiez s’il craint d’être remis personnellement en question ou s’il craint le changement. En fonction du cas, précisez le centrage sur l’activité et non sur les personnes ou sur l’objectif de changement positif. Vous pouvez d’ailleurs préciser (mais pas trop tôt !) que ce qui fonctionne bien n’a pas vocation à changer.
l’audité bavard : il peut parler de tout… et parfois de rien. Vous devrez souvent le recentrer sur le fil conducteur de votre entretien. Si vous pressentez ce type d’audité en début d’entretien, n’hésitez pas à fixer un cadre temporel à l’entretien.
l’audité sceptique ou réfractaire : il n’a pas envie de participer (mais pourquoi a-t-il accepté l’entretien alors ?), ne répond aux questions que de manière laconique ou en émettant des avis négatifs sur tout. Bref, il est visiblement mécontent de quelque chose. Essayez si nécessaire d’identifier la raison de sa réticence. Utilisez son comportement pour vous concentrer sur les dysfonctionnements à l’aide de questions factuelles.
l’audité, notamment le formateur jaloux peut parfois ne pas livrer beaucoup de ses pratiques pour deux raisons :
d’abord parce qu’il considère que sa pratique relève d’une expertise et que partager certaines informations le déposséderait de leur valeur ajoutée ;
ensuite parce que même salariés, certains audités (notamment formateurs) bénéficient d’une certaine indépendance. Ils n’ont pas forcément l’habitude de rapporter leurs activités.
Autrement dit, certains formateurs n’apprécient pas trop qu’on regarde comment fonctionne leur “cuisine interne”. Avec eux, il est plus facile par exemple d’être auditeur si on est ou a été formateur soi-même. A défaut d’être/avoir été formateur, l’auditeur externe peut insister sur l’absence de concurrence et l’auditeur interne sur la connaissance des processus.
Les caricatures de l’auditeur
Il serait injuste de pointer du doigt certains comportements des audités sans faire de même pour les auditeurs ! L’auditeur est normalement un expert du champ qu’il audite qui dispose de compétences en communication et qui défend une vision positive de l’audit, comme un moyen d’évolution positive. Ça, c’est ce qu’on souhaite ! Parfois, on rencontre aussi ces profils qui sont assez distants de cet idéal...
Par exemple :
l’auditeur expert : il se concentre uniquement sur la dimension technique des processus qu’il audite. Il raisonne surtout en termes de fonctionnement et de dysfonctionnement… sans chercher à associer les parties prenantes. Le risque : il finit par n’avoir que des informations techniques, qui ne sont pas la réalité globale de l’organisation. Être expert est une bonne chose, mais cela doit avant tout servir à poser des questions précises et pertinentes.
l’auditeur nez-dans-le-guide : ce défaut qu’on attribuerait de prime abord à des jeunes auditeurs n’est pas une question d’expérience dans la fonction. Cet auditeur se sécurise en restant collé à son guide d’entretien, mais par la même, il oublie la dimension essentielle de l’entretien : l’échange. La solution : connaître son guide d’entretien sur le bout des doigts. Se concentrer sur les outputs de l’entretien plutôt que sur son déroulement.
l’auditeur passionné : il a parfois été à la place de l’audité. Il est très impliqué dans la réussite de l’organisation ou a de fortes convictions sur le champ audité. Il en oublie qu’il doit être objectif.
l’auditeur partisan : il est en faveur ou en défaveur de certaines choses dans l’audit ou de l’audit lui-même. Si l’auditeur doit porter un minimum l’audit (on l’espère), il n’a pas non plus pour rôle de porter l’audit seul sur ses épaules. Si le partisanisme porte sur la défense de l’audit, c’est qu’un échange avec les parties prenantes est à nouveau nécessaire. Si c’est sur certains processus, l’auditeur a intérêt à relire la charte ou le code de déontologie, notamment l’entrée “objectivité”.
l’auditeur empathe se concentre plus sur les ressentis et les perceptions des audités et non sur les pratiques en tant que telles. Il risque de la sorte d’avoir avant tout des informations subjectives. Il peut travailler sur le questionnement et la reformulation factuelle.
l’auditeur multi-casquettes : au cours de l’entretien, il passe allègrement de sa casquette d’auditeur à celle de manager (en interne) ou de spécialiste (en externe). Ce changement de casquettes empêche de se concentrer sur l’essence de l’entretien. Si vous avez tendance à vous comporter de la sorte, réservez un temps séparé en début ou en fin d’entretien !
Cette galerie de portraits est faite pour vous indiquer qu’il n’y a pas d’auditeur ni d’audité parfait. Vous rencontrerez des situations différentes et l’essentiel est d’y être préparé. En tout cas, en tant qu’auditeur, vous avez intérêt à vous connaître pour éviter de tomber dans une de ces caricatures !
Dans ce chapitre conséquent, vous avez découvert la richesse de l’audit au travers de l’entretien. Vous savez désormais comment préparer et mener un entretien. Dernier conseil avant le chapitre suivant : entraînez-vous !