Bienvenue dans la deuxième partie de ce cours ! Vous avez maintenant une bonne vision de ce qu'est l'activité Conception dans l'entreprise. Vous êtes prêt à faire face à une situation concrète !
Vous connaissez certainement les écouteurs sans fils développés par Apple ? Peut-être que vous avez été parmi les premiers utilisateurs ? Dans cette partie, je vous propose de remonter le temps et de vous plonger dans le processus de création de ce produit. Nous sommes en 2015, vous travaillez dans le service Études, Recherche et Développement d'une prestigieuse entreprise spécialisée en électronique, plus particulièrement au sein de la branche Téléphonie mobile, dans le département des "accessoires".
Lors de votre point hebdomadaire avec votre service Marketing, vous vous voyez confier un nouveau projet : améliorer, revisiter, repenser les écouteurs existants... vaste sujet qui vous passionne immédiatement. En effet, vous êtes un fervent adepte des nouvelles technologies, et vous avez déjà beaucoup d'idées ! Mais vous savez que pour qu'un projet aboutisse, il faut qu'il soit bien structuré et bien préparé. Avant de nous lancer, intéressons-nous aux concepts théoriques liés à l'innovation.
Distinguez les différents types d'innovation
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a pour mission de :
« promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde ».
Cette organisation affirme que l’innovation va bien au-delà de la recherche-développement.
Il est possible de distinguer 4 formes principales d'innovation.
L'innovation continue (ou incrémentale)
L’innovation continue consiste à améliorer un produit ou un service déjà présent sur un marché mature, en optimisant ses performances ou son utilisation. Ce type d’innovation incrémentale se fait par paliers. Les leaders sur le marché du smartphone, Apple et Samsung, ont recours à l’innovation continue pour gérer au mieux les cycles de vie de leurs produits et garder leur communauté d’utilisateurs en haleine à chaque nouveau lancement. C’est aussi un concept très répandu dans l’industrie automobile.
L'innovation adjacente
L'innovation adjacente est l’une des stratégies les plus utilisées pour allonger la durée de vie d’un produit ou d’un service. L’innovation adjacente peut concerner un produit/service ou un marché. L’entreprise qui a recours à l’innovation adjacente utilise un produit ou une technologie existant, sur un nouveau marché.
L’un des plus célèbres exemples d’innovation adjacente est celui du post-it, découvert un peu par hasard par un employé de l’entreprise 3M agacé de voir ses marque-pages tomber de son livre de prière. Il se souvint qu’un de ses collègues avait découvert une colle peu adhésive et eut l’idée de coller ses marque-pages entre eux grâce à cette colle. De cette manière, il put détacher ses marque-pages sans les abîmer et sans laisser de trace de colle.
L'innovation de rupture
L’innovation de rupture, ou disruptive, favorise l’accès à un certain produit ou service pour le rendre disponible au plus grand nombre en termes de coût et d’usage. À court terme, le but de l’entreprise qui amorce une innovation de rupture est de déstabiliser la concurrence afin d’acquérir rapidement des parts de marché. À moyen et long terme, l’entreprise disruptive vise le monopole dans son secteur d’activité par l’acquisition d’une communauté d’utilisateurs acquise à sa cause. Prenons ici l’exemple de Deezer ou Spotify qui rendent la musique accessible à tous, n’importe où, n'importe quand et à un moindre coût.
L'innovation radicale
Comme son nom l’indique, l’innovation radicale consiste à commercialiser un tout nouveau produit et à créer un nouveau marché qui ne répond à aucune problématique existante. C’est par exemple le cas du casque de réalité virtuelle.
Revenons au projet d'écouteurs qui vous a été confié. Quel type d'innovation vous permettra de répondre à la demande de votre marketing et de vos clients ?
Si l'on récapitule, il existe 4 formes d'innovation pour se différencier sur un marché concurrentiel.
L'innovation incrémentale : gain issu de l'amélioration d'un produit déjà existant et accepté par les clients, pour rester dans la course.
L'innovation adjacente : utilisation nouvelle d'un produit existant sur un nouveau marché, pour prolonger le marché actuel.
L'innovation disruptive : rendre un produit existant plus facilement accessible par le plus grand nombre, pour s'adapter à l'environnement.
L'innovation radicale : changement technologique et commercial qui s'affranchit des clichés habituels, pour créer un nouveau marché.
(Source : https://ict.io)
Vous avez tout de suite pensé à des écouteurs sans fils, mais qui seraient plus performants, offriraient un meilleur son et plus de possibilités que des écouteurs classiques. Votre point de départ est donc bien un produit existant. Vous allez l'améliorer par le biais d'innovations, et ainsi étendre le marché.
Vous allez donc vous orienter vers une innovation plutôt adjacente.
Utilisez la courbe d'adoption des nouveaux produits
Avant de lancer un produit innovant, vous devez estimer vos volumes prévisionnels de vente, ainsi que vos catégories de clients. Pour vous aider à comprendre le comportement des consommateurs, il existe ce que l'on appelle la "courbe d'adoption des nouveaux produits". Voyons comment est construite cette courbe !
Dans les années 60, une étude menée par François Bourne montre qu'il existe 5 catégories de consommateurs face à un nouveau produit :
les innovateurs, ou précurseurs : ce sont les premiers à acheter le nouveau produit. Ils adorent avoir les dernières nouveautés. Ils représentent 3 % de la population ;
les visionnaires : ils sont convaincus de l'innovation et l'achètent plutôt rapidement ;
la majorité précoce : ils attendent un peu d'avoir un retour sur le produit. S'il répond à leur besoin, ils se le procurent. Elle représente 34 % de la population. La réussite d'une innovation dépend beaucoup de cette catégorie ;
la majorité tardive : il s'agit des personnes qui attendent que le produit soit populaire, ou à la mode pour se le procurer ; elle représente 34 % et permet au produit de continuer à être vendu ;
les retardataires : cette catégorie concerne des personnes qui ne voient pas la nécessité de changer, d'innover. Elles adoptent un nouveau produit tardivement, quand elles estiment en avoir besoin. Cette catégorie représente 16 % de la population.
Et vous, dans quelle catégorie vous situez-vous ?
Cet outil, souvent représenté par la courbe qui suit, est très utile pour le marketing. Il sert notamment à :
repérer les populations cibles ;
construire un plan de lancement du produit ;
établir des prévisions de ventes, en ayant connaissance des taux d'absorption du marché.
L'axe du temps dépend du produit, mais il faut avoir à l'esprit qu'aujourd'hui tout va très vite ! Il a fallu plusieurs dizaines d'années avant que 50 millions de personnes aient un téléviseur, et seulement quelques semaines pour atteindre 50 millions d'utilisateurs de "Pokemon Go" !
Identifiez votre segment de marché
Quelle est votre " majorité précoce" ? À quelle tranche d'âge vous adressez-vous ? À quelle catégorie socioprofessionnelle ?
Il est important de pouvoir cibler votre segment de marché. Vous voulez pouvoir séduire aussi bien les jeunes qui écoutent de la musique dans le bus, que les sportifs, mais aussi les travailleurs de bureau. Vous savez par ailleurs que vous introduirez de nouvelles technologies onéreuses ; donc vos écouteurs seront plus chers que la moyenne ! Cependant, ils sauront se différencier. L'objet doit être robuste, avoir une autonomie supérieure aux produits existants et être pratique et ergonomique. Un gymnaste doit pouvoir faire une roue avec ses écouteurs sans qu'ils tombent ! Il faudrait minimiser au maximum la sortie du téléphone. Les clients pourraient avoir les mains véritablement libres.
Finalement, vous ciblez un très grand marché en termes d'âge et de sexe, mais une catégorie plutôt moyenne (haute) ou fan de nouvelles technologies !
Avant de lancer un produit, il vous faut également connaître le marché, votre positionnement, vos concurrents, etc. Il vous faut donc être en veille !
Organisez votre veille marketing
Qu'est-ce qu'une veille marketing ? Ce sont en réalité toutes les informations et données que vous pouvez collecter de votre environnement. Une veille efficace est un véritable outil vous permettant d'être informé, aussi bien des stratégies de vos concurrents, que des avancées technologiques. Toutes ces informations, si elles sont bien utilisées, vous permettront d'orienter et d'ajuster votre stratégie. Il existe plusieurs catégories de veille marketing.
La veille commerciale : elle est orientée vers vos clients et vos fournisseurs. Plus vous connaîtrez vos clients, plus vous pourrez adapter vos produits à leurs attentes, et les fidéliser. Il est également important de veiller à la fiabilité de vos fournisseurs, afin d'en faire de réels partenaires.
La veille stratégique : elle est utilisée par et pour les décisionnaires de votre entreprise, pour déterminer quelle est la meilleure stratégie commerciale à adopter.
La veille concurrentielle : comme son nom l'indique, elle est orientée vers vos concurrents. Quels outils de communication utilise votre concurrent ? Est-ce que cela semble porter ses fruits ? Par exemple, un propriétaire de salle de sport regardera de près les offres de ses concurrents. Cela ne veut pas dire qu'il adoptera la même stratégie commerciale. Parfois, certaines entreprises misent sur l'originalité pour se démarquer de leurs concurrents et attirer l'attention vers elles.
La veille technologique : il s'agit de se tenir informé des dernières avancées technologiques qui peuvent être intégrées dans vos produits et/ou dans vos propres processus de fabrication. Sachez que l'innovation peut aussi vous faire gagner en coût de production.
La veille sur les réseaux sociaux : loin d'être inutile, c'est une manière rapide et peu coûteuse de vous faire connaître. Il vous faut cependant vous assurer que les informations et données sont à jour et de qualité. Si ce n'est pas le cas, votre "e-réputation" en sera vite impactée !
Évidemment, un bon équilibre de ces différentes veilles est essentiel. Bien sûr, en fonction de votre innovation, vous insisterez plus ou moins sur un type de veille. Pour votre projet d'écouteurs, vous allez mettre l'accent sur les veilles technologique, stratégique et commerciale, en prêtant bien sûr attention à la veille concurrentielle et aux réseaux sociaux.
Avant de vous lancer dans le vif du sujet, vous devez garder à l'esprit que vous devez avant tout répondre à une attente, un besoin du client.
La matrice de Kano
Au début des années 80, le Dr Noriaki Kano a effectué des recherches sur ce qui provoquait une satisfaction ou une non-satisfaction chez le consommateur. Il a mis en évidence que la présence, ou pas, de la fonction attendue était un facteur essentiel. C'est important, car cela permet de bien cibler les attentes des clients. Pour faire simple : si la fonction attendue est présente, alors le client est satisfait. Il a ainsi construit le diagramme ci-dessous :
La courbe de Kano met en évidence 3 types d'attente qui vont donc générer une satisfaction différente.
Les attentes de base : elles ne sont pas exprimées, elles doivent donc obligatoirement être présentes pour rester sur le marché. Par exemple, vos écouteurs doivent permettre d'entendre.
Les attentes proportionnelles : la satisfaction augmente avec le niveau de performance délivré par la fonction. Par exemple, vos écouteurs délivrent le meilleur son du marché, ils ont une grande autonomie et se chargent très facilement.
Les attentes attractives : vous allez au-delà des attentes de vos clients. Il peut s'agir d'une fonctionnalité qui les surprend. C'est une piste idéale pour intégrer de l'innovation. Ce sont ces "petits" plus qui vous distinguent de vos concurrents. Dans notre cas, les écouteurs ne tombent pas pendant une séance de sport, la musique s'arrête automatiquement quand on les retire et reprend quand on les remet. En tapotant dessus, des commandes du téléphone s'activent.
Vous savez à présent comment réagit un consommateur. Vous devez maintenant vous assurer que votre produit est rentable.
Estimez la rentabilité de votre produit
Il est important d'avoir le réflexe d'estimer assez rapidement le seuil de rentabilité de votre produit. Il consiste à définir le chiffre d'affaires à réaliser pour arriver au point mort, c'est-à-dire à l'équilibre : total des charges = total des produits.
Il faut pour cela calculer le prix de revient en y intégrant les différents coûts.
Les coûts liés aux achats
Vous avez acheté pour combien de matières premières pour fabriquer ce produit ?
Quel a été le coût de la livraison ?
Vous avez utilisé combien de consommables (vis, petits composants, etc.), et combien vous ont coûté ces consommables ?
Les coûts liés à la production
Combien d’heures sont nécessaires à la fabrication du produit ?
Quelles sont les charges d’exploitation liées à cette fabrication (électricité…) ?
Les coûts liés à la commercialisation
Vous faites des campagnes publicitaires pour la vente du produit : cela vous coûte combien ? Si vous avez d’autres frais générés par cette commercialisation, intégrez-les à votre prix de revient. À ce prix de revient, appliquez le taux de marge pour avoir votre prix de vente.
Imaginons une société qui fabrique des produits électroniques.
Ses coûts fixes = 750 000 €.
Ses coûts variables = 55 € décomposés en 33 € de main d'œuvre, 8 € de frais généraux et 14 € pour les matériaux.
Prix de vente d'un composant électronique = 75 €.
Le nombre de ventes minimum, N, à atteindre pour atteindre le seuil de rentabilité est : (75 € - 55 €)x N = 750 000€. Soit N = 750 000 € / (75 € - 55 €) = 37 500 unité à vendre.
On peut modéliser avec le graphe ci-dessous, faisant apparaître ainsi la notion de pertes et de bénéfice :
Il est donc très important d'avoir un ordre de grandeur de votre seuil de rentabilité : votre stratégie ne sera pas la même si vous devez atteindre 500 000 ou 5 000 ventes pour être rentable. Rassurez-vous, c'est généralement le service financer qui se charge de ces calculs, mais il est toujours pertinent de connaître le seuil de rentabilité du produit que vous développez !
Enfin, avant de lancer un nouveau produit, concept ou service, pensez à protéger vos découvertes.
Protégez l'innovation
Les entreprises qui engagent des projets de recherche et de développement doivent protéger au mieux leurs innovations. Le premier réflexe est d'avoir une organisation en interne qui ne permette pas de "fuites".
Ensuite, l'entreprise peut déposer un brevet auprès de l'INPI, Institut national de la protection intellectuelle (il constitue un titre de propriété intellectuelle permettant d'avoir le monopole d'exploitation sur 20 ans en France). Attention, un brevet concerne une innovation qui doit être :
une solution à un problème technique ;
nouvelle ;
inventée ;
fabriquée ou utilisée.
Un autre dispositif, le "certificat d'utilité", permet une protection de l'innovation similaire au brevet, mais pour une durée de 6 ans seulement en France.
Le meilleur moyen de protéger votre idée est donc de la garder secrète. La seule chose que vous pouvez faire est d'utiliser l'enveloppe Soleau qui vous permet d’obtenir une preuve datée de votre idée. Cela ne vous confère toutefois aucun titre de propriété industrielle.
Il existe d'autres outils de protection comme les droits d'auteurs, les dépôts de marques, de dessins... Le site de l'INPI vous renseigne en détail sur "comment protéger".
Enfin, pensez à sécuriser vos relations avec vos sous-traitants. Dans le cadre de votre projet de recherche et développement, l’entreprise peut être amenée à collaborer avec des sous-traitants sur certaines étapes. Ces derniers auront donc accès à une certaine partie des informations liées au projet. Il est donc très important de formaliser les relations avec les sous-traitants par le biais d’un contrat qui comportera les clauses adéquates afin de protéger les innovations, en y intégrant des clauses de confidentialité.
Ce chapitre un peu théorique, orienté sur des notions générales de marketing, me semblait essentiel pour mieux appréhender les aspects plus techniques de la conception d'un produit innovant. Nous allons donc dans la suite du cours revenir à la demande de notre marketing, et analyser plus précisément le besoin.