Grâce aux deux premières parties, vous avez découvert plusieurs leviers de progrès pour optimiser la performance d'un processus industriel :
flux tirés ;
flux continus ;
SMED pour la réduction des temps de changement de série ;
6 Sigma pour répondre aux exigences qualité du client ;
Kaizen pour réaliser un chantier rapide d'amélioration ;
etc.
Dans cette partie, nous allons nous intéresser à l'impact du numérique dans l'industrie. En effet, nous vivons une époque formidable ! La transformation numérique touche tous les secteurs d'activité. Nos smartphones ont chamboulé nos habitudes de vie, par exemple. Eh bien, l'industrie n'échappe pas à cette transformation. Bien au contraire, elle en tire partie.
Bienvenue dans l'industrie du futur, ou l'industrie 4.0 !
Pourquoi le digital dans l'industrie ?
Eh bien tout simplement, pour aller encore plus loin.
Tenez, voici un exemple qui vous parlera peut-être : je voudrais vous raconter une soirée type au début des années 2000, lorsque nous voulions louer un film. Le processus de location d'un film pouvait ressembler à ça :
Vous allez voir, nous allons rencontrer nos 7 gaspillages et irritants :
il fallait sortir chercher la cassette chez un distributeur (transport) ;
Note à destination des plus jeunes : une cassette est l’ancêtre du DVD. Pour les plus jeunes encore : le DVD est l’ancêtre du streaming (oui oui, autrefois, nous avions besoin d’un support physique pour regarder un film ).
il fallait faire la queue devant le distributeur (attente) ;
le film que nous voulions voir n’était pas disponible (problème de stock) ;
retour à la maison (transport) ;
il arrivait que nous soyons obligés de rembobiner la cassette (opération inutile) ;
Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
il arrivait que la cassette ne fonctionne pas et il fallait alors essayer de retendre la bande (corrections) ;
Je vous promets, je vais bientôt parler du futur (ou, dans un premier temps, du présent, déjà)
puis parfois, parce que nous pensions être en forme, on louait deux ou trois films et finalement on s’endormait devant (surproduction qui créé du surstock) ;
le plus dur, c’était de se relever du canapé pour changer de cassette (mouvements inutiles) ;
Je ne vous parle même pas quand il fallait ressortir à 2 h du matin pour ne pas payer d'heures de location supplémentaires (transport).
On sent le vécu, non ? Finalement, le processus ressemblait donc plutôt à cela :
On se retrouve donc avec un processus compliqué, rempli de non-valeur ajoutée. La seule valeur ajoutée ici, étant bien de regarder le film.
Pourtant, nous aurions voulu que le processus soit beaucoup plus simple... Eh bien, grâce au digital, Netflix l’a fait !!!
Avec cet exemple, je voulais vous démontrer que le digital peut aider à simplifier et raccourcir un processus. Et justement, le numérique arrive dans nos usines : on parle de l’industrie du futur, ou d’industrie 4.0. Ces nouvelles technologies deviennent de plus en plus matures. Elles donnent naissance à un nouvel outil de production plus connecté, plus agile, plus "vert" et plus performant.
Le digital est donc une nouvelle source de développement de la compétitivité industrielle.
L'usine du futur, c'est quoi ?
Avant de vous donner une définition, je souhaite remettre les pendules à l'heure :
Usine/Industrie du futur, Industry 4.0, Smart Factory, E-plant...
Tous ces noms signifient la même chose. En effet, ce sont des noms de programmes retenus par les gouvernements de différents pays (ici, respectivement, la France, l'Allemagne, les États-Unis et le Japon). Ils font tous référence à la transformation numérique dans le monde industriel.
Les programmes diffèrent entre eux. Par exemple, l'Allemagne cible principalement la robotique, là où la France met plutôt l'accent sur la place de l'homme autour de ces technologies.
Dans la littérature, voici une définition qui semble faire l’unanimité :
"L’usine du futur sera plus agile et flexible, moins coûteuse et plus respectueuse
de ses travailleurs et de l’environnement, grâce à un fort niveau d’automatisation
et une intégration numérique de l’ensemble de la chaîne de production."La Fabrique de l’Industrie (2016)
Cette définition reste très générale. Et justement, cela montre bien l'état des lieux actuel de cette transformation. Il n'y a pas de modèle précis à déployer. En effet, il existe de nombreuses nouvelles technologies et pratiques, et chaque entreprise pourra choisir celles qui sont les plus appropriées à son besoin. Vous comprendrez d'ailleurs, au fur et à mesure de cette partie, que c'est la combinaison de plusieurs technologies qui donnera des résultats encore plus probants.
Découvrez les objectifs et enjeux du numérique
Pour la France, l'industrie du futur va donc permettre de moderniser l'outil industriel français, en le rendant plus compétitif et flexible, mais surtout plus responsable et centré sur l'humain.
D'ailleurs, voici ce qu'en disent les groupes Fives et Dassault Systèmes, par exemple, qui ont œuvré sur le plan gouvernemental "Industrie du futur" :
"L’usine du futur devra être plus respectueuse de son environnement, grâce à des modes de production moins consommateurs de ressources et moins générateurs de rejets, plus intelligente, avec des modes de production toujours plus sophistiqués qui repensent l’interface homme-machine. Plus flexible, en utilisant des outils de production reconfigurables, l’usine pourra proposer une offre plus proche des besoins du marché, passant du "mass market" au "custom built. Plus intégrée, connectée au cœur des territoires et proche des acteurs de son écosystème (clients, sous-traitants et fournisseurs), l’usine de demain contribuera à dynamiser un réseau et une économie locale."
Quelle différence entre "mass market" et "custom built" ?
Le "mass market", ou marché de masse, consiste en un marché de biens produits à grande échelle pour un groupe important de consommateurs.
À l'inverse, le "custom-built", ou mass customization, consiste à produire une multitude de variétés de produits personnalisés, afin de répondre à la demande individuelle des consommateurs.
Mais alors, pourquoi 4.0 ?
Et bien, vous ne le savez peut-être pas, mais nous vivons ce que l'on appelle "la quatrième révolution industrielle" !
En effet, l'industrie a connu déjà trois évolutions majeures :
La mécanisation.
L'électrification.
L'automatisation et la robotisation.
Et aujourd'hui, elle vit donc sa quatrième évolution, avec la digitalisation.
Perfectionnez vos connaissances sur les technologies de l'industrie du futur
Comme le montre la vidéo ci-dessus, il existe de nombreuses technologies qui entrent dans le concept d'industrie du futur.
Voici une synthèse de ces technologies regroupées en 9 briques d'innovations (cliquez ici pour l'afficher en pleine page) :
Détaillons chacun de ces blocs.
Procédés de fabrication innovants : les procédés industriels n'ont cessé de s'améliorer au cours des dernières décennies. De nouveaux procédés innovants sont arrivés sur le marché, et notamment la fabrication additive, dont on connaît une déclinaison avec les imprimantes 3D. La fabrication additive peut servir pour le prototypage rapide (que l'on retrouve dans les Fablab par exemple), ou la fabrication d'outillage (le matériau utilisé est alors une base plastique), mais on trouve de plus en plus de machines de Fabrication Additive Métallique (FAM) en industrie ; elle permet alors de réaliser des pièces très complexes (voire impossible à fabriquer autrement), et plus légères.
PLM - Product Lifecycle Management (gestion du cycle de vie du produit) : c'est un système de gestion des informations pour gérer un produit tout au long de son cycle de vie (idée, conception, industrialisation, fabrication, livraison, utilisation, maintenance, recyclage). Il est complémentaire et interfacé avec l'ERP (Enterprise Ressource Planning), qui lui permet de gérer les flux de processus de fabrication et de chaîne logistique. À eux deux, ils permettent de rendre l’entreprise plus agile et plus réactive sur l’ensemble de ses activités (conception, fabrication, livraisons, qualité, coût, traçabilité, innovation…).
La PLM permet de décloisonner véritablement l’information interservices, et de faciliter le partage et la collaboration !
Machines intelligentes : 3 technologies sortent ici leur épingles du jeu. Principalement :
IIOT (ou plus précisément Internet des Objets Industriels). Il permet de connecter des machines, mais aussi des produits, afin de gagner en traçabilité, en précision, en prédiction (dans le cas d'un objet lié à un capteur machine pour la maintenance, par exemple).
Cobots. Les robots collaboratifs. Contrairement aux robots actuels, volumineux, qui sont enfermés dans des cages où l'homme ne peut pas intervenir, le cobot interagit avec l'humain. Il est à proximité de l'opérateur et est facilement programmable.
AGV (Automatic Guided Vehicule). Une autre forme de robot, qui est un chariot déplaçant de la matière ou autres pièces et composants. Il est autonome, gère ces déplacements et peut évoluer en toute sécurité. Ces technologies, par exemple, ne sont pas récentes, mais elles sont de plus en plus matures, déployées, et se perfectionnent.
Réalité augmentée : pour expliquer cette technologie, une analogie toute simple, Pokemon Go. Les "dresseurs" voient un Pokémon sur la pelouse en regardant à travers leur smartphone. Dans l'industrie, les utilisations peuvent être nombreuses. On peut, par exemple, afficher un mode opératoire didactique devant les yeux de l'opérateur. Les instructions s'ajoutant alors à la réalité.
Réalité virtuelle : à ne pas confondre avec la précédente. Là, l'utilisateur se retrouve dans un monde complètement virtuel. On peut former un opérateur sur une opération délicate avant même de se rendre sur la machine (et donc réduire le temps d'arrêt de la machine pour former un nouvel arrivant sur celle-ci). Il est également possible de l'utiliser pour faire valider l'implantation d'un nouveau poste de travail. L'opérateur peut alors prendre conscience du futur environnement, et on peut vérifier des postures ergonomiques.
Jumeau numérique (Digital Twin). C'est une copie virtuelle de l'usine, qui va nous permettre d'avoir une représentation de l'usine via une modélisation 3D. Mais ça ne s'arrête pas là ; ce modèle n'est pas statique, mais dynamique, il est relié à la ligne de production. Dans ce sens, il va permettre de remonter des données (Big Data), de faire des essais de nouveaux scénarios (simulations), et également d'avoir la main sur de nombreux paramètres de la vraie ligne.
Performance énergétique / Usine verte. L'industrie d'aujourd'hui doit s'inscrire dans une démarche écoresponsable. Les nouvelles technologies vont alors permettre de suivre les consommations d'énergie, par exemple, et surtout de les réguler pour en maîtriser et diminuer la consommation. Dans sa transformation, l'industrie doit se diriger vers l'économie circulaire.
Intelligence opérationnelle / Supervision (Big Data). L'ensemble des données que l'on peut récolter des capteurs machines, des différents systèmes d'informations, de l'ensemble de l'écosystème autour de l'usine, peuvent être récoltées et étudiées (par une IA : Intelligence Artificielle), afin d'aider à la prise de décision, au pilotage ou à prévoir le futur ! Véridique. J'ai eu la chance d'en voir un exemple dans une industrie manufacturière électronique. Après l'installation de certains capteurs et avec l'aide d'une IA, ils sont désormais capables de savoir qu'une casse pièce machine aura lieu 2 heures plus tard. Ainsi, ils peuvent préparer la pièce et arrêter la machine pour un changement de série au passage. Le gain est énorme !
Enfin, la numérisation de la chaîne de valeur. Imaginez pouvoir reprendre votre VSM de la partie précédente et pouvoir tester plusieurs scénarios possibles en modifiant quelques paramètres. Eh bien, cela est possible : ce sont la modélisation et la simulation dynamique des flux.
J'ai souhaité vous présenter ces nouvelles technologies en brique innovation, mais vous avez pu remarquer que la frontière entre elle est faible.
Par exemple, votre jumeau numérique sera alimenté par les Big Data issues des objets connectés et systèmes d'information (dont le PLM). Vous pourrez faire de la modélisation et simulation de flux, brancher le casque de réalité virtuelle pour évoluer dans le jumeau numérique, voir l'implantation de votre future imprimante 3D métallique et étudier en amont sa consommation énergétique.
Est-ce que les démarches Lean et Industrie du futur sont compatibles ?
J'espère, sinon, je n'aurai plus rien à dire dans la suite de cette partie.
Trêve de plaisanterie ; comme illustré avec l'exemple de Netflix, le numérique va nous permettre de diminuer des valeurs ajoutés et d'optimiser la performance de l'entreprise. Maintenant que vous connaissez les technologies, nous pouvons imaginer quelques idées pour profiter des deux approches :
on imagine très bien que le Big Data va faciliter le travail de recueil des données. Mais attention, le jumeau numérique n'est pas le nouveau gemba ;
pour ma part, lors de chantiers Kaizen de 3 jours, j'imagine utiliser une imprimante 3D pour réaliser un nouvel outillage utile dans l'optimisation d'un poste de travail ;
comme donné en exemple plus haut, la VSM 4.0 avec la modélisation et simulation de flux ;
compléter une analyse des mudas par une analyse des surconsommations énergétiques ;
etc.
J'irai même jusqu'à dire qu'aujourd'hui, je n'imagine pas l'un sans l'autre. Faire du Lean sans profiter des outils digitaux peut être un manque à gagner (même si attention, la solution n'est pas nécessairement dans la technologie). Et à l'inverse, transformer l'usine numériquement, sans avoir "préparé" les équipes et standardisé les processus grâce au Lean, peut s'avérer plus périlleux. En effet, le Lean a pour avantage d'habituer les équipes à la remise en cause, à la standardisation, à la volonté d'optimiser les pratiques, etc.
Regardez cet exemple de démarche d'amélioration continue et de transformation digitale :
Dans les chapitres qui suivent, je vous propose de découvrir plus en détail les technologies qui vont davantage impacter l'amélioration continue dans ses pratiques. Commençons avec l'homme augmenté !